Canal+ change son modèle

Une offre éditoriale remodelée
Une offre commerciale en rupture
Un pari sur le futur de la télévision payante

Une offre éditoriale remodelée

En commençant par changer le management du groupe Canal+ dès l’été 2015 (Maxime Saada devient directeur général en juillet 2015, Jean-Christophe Thiéry remplace Bertrand Méheut à la présidence du directoire en septembre 2015), Vincent Bolloré a imprimé sa marque de nouvel actionnaire sur cet actif stratégique qui représente la moitié du chiffre d’affaires de Vivendi. Restait ensuite à repenser le modèle de Canal+, un enjeu majeur tant la chaîne française est singulière dans le paysage audiovisuel mondial. En effet, première chaîne privée de France, en 1984, Canal+ bénéficie d’emblée d’une fréquence nationale qu’elle pourra crypter afin de développer le marché de la télévision par abonnement, un marché que cet avantage historique va lui permettre de contrôler en étouffant la concurrence du câble, qui se développe ailleurs en Europe. La chaîne premium Canal+ a en effet permis de construire une marque forte qui a servi de porte d’entrée vers des offres élargies de chaînes dès le lancement de CanalSat en 1992, un service qui se révélera être le vrai pôle de profits du groupe.

Tout va changer cependant avec l’arrivée de l’internet et l’augmentation progressive des débits. À mesure que les foyers se convertissent aux box des opérateurs pour accéder à leurs programmes de télévision, des offres alternatives vont pouvoir s’imposer, soit par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès, satisfaits de trouver un moyen de moins dépendre du groupe Canal+ pour leurs offres complémentaires de télévision, soit directement sur internet avec le développement des offres dites over the top (OTT), qui favorisent la consommation de programmes sur d’autres terminaux que le seul récepteur de télévision.

LES PROGRAMMES D’EXCEPTION ONT UN COÛT QUI LES RÉSERVE AUX SEULS ABONNÉS

Ces offres nouvelles, lancées à partir de 2012, exploreront souvent en profondeur l’une des thématiques qui ont fait le succès historique de la chaîne premium Canal+, à l’instar du sport pour BeIN Sports, ou encore des séries pour Netflix. S’ajoute à cela la concurrence des chaînes de la TNT, la télévision proposant 25 chaînes en 2012 contre 6 chaînes début 2005, ce qui a dégradé d’autant l’intérêt des offres élargies comme CanalSat. Le phénomène est flagrant sur l’offre de films de cinéma à la télévision en clair, passée de 5 à 6 films par semaine il y a dix ans à une soixantaine aujourd’hui.

C’est pour relever les nouveaux défis que la nouvelle direction de Canal+, dès 2015, a cherché à mieux valoriser son offre, notamment sur la chaîne premium qui perdait des abonnés. À la rentrée de septembre 2015, la chaîne a ainsi basculé en crypté le programme phare des Guignols, rappelant que les programmes d’exception ont un coût qui les réserve aux seuls abonnés, ce qui a conduit à réduire d’une heure par jour la tranche en clair. Cette logique de valorisation de l’abonné s’est poursuivie depuis, devenant la clé de lecture des nouvelles offres du groupe Canal+.

Les premiers résultats de cette nouvelle stratégie ont conduit à une perte d’audience pour Canal+, dès l’année 2015-2016, la limitation des tranches en clair entraînant mécaniquement un départ des téléspectateurs non abonnés. Cette stratégie a en outre conduit au départ massif des animateurs incarnant les tranches en clair (Yann Barthès, Bruce Toussaint, Ophélie Meunier, Ali Baddou), ce qui a favorisé le déclin de l’audience. L’offre en clair n’est donc plus considérée comme un moyen de convertir à terme les téléspectateurs aux offres payantes, l’investissement sur ces tranches horaires devenant dès lors moins stratégique.

CANAL+ REVIENT DONC SUR LE MODÈLE DE L’ANIMATEUR STAR QUI A FAIT LE SUCCÈS DE LA TÉLÉVISION EN CLAIR DANS LES ANNÉES 1990

À vrai dire, le pari du groupe est de limiter les coûts de la grille en réduisant le clair à la portion congrue, les talk-shows coûtant cher pour des rentrées publicitaires insuffisantes et sans commune mesure avec les recettes des abonnements. Canal+ revient donc sur le modèle de l’animateur star qui a fait le succès de la télévision en clair dans les années 1990, et donc aussi de son acces prime time qui, de Nulle part ailleurs au Grand Journal, était devenu l’emblème de la chaîne, malgré son offre exclusive de films, de séries et de matchs de football.

À cet égard, le remplacement à la tête du Grand Journal d’Antoine de Caunes par Maïtena Biraben est symptomatique : l’une des figures des premières années de Canal+ a dû quitter l’access prime time pour laisser la place à une animatrice plus jeune, laquelle a préféré quitter à son tour Canal+ pendant l’été 2016, convaincue probablement que la réduction massive des tranches en clair annoncée pour la rentrée 2016 allait se traduire par une chute continue de l’audience de la chaîne. Pour des animateurs dont la rémunération dépend de leur visibilité médiatique, cette nouvelle stratégie de la chaîne semble rédhibitoire. En effet, rien que pendant l’année 2015-2016, le Grand Journal, présenté par Maïtena Biraben, a perdu 50 % de son audience par rapport à l’année 2014-2015, sans doute en raison de la réduction des tranches en clair, mais aussi parce que ce programme est de plus en plus concurrencé par les chaînes en clair qui proposent également des talk-shows (dont Touche pas à mon poste – TPMP de Cyril Hanouna sur C8, propriété du groupe Vivendi).

Pour la rentrée 2016, la chaîne Canal+ a encore réduit ses tranches en clair, qui sont passées de 5 à 2 heures par jour, soit 150 heures par mois désormais cryptées et réservées aux seuls abonnés. Cette réduction est le dernier acte de la refonte de l’offre éditoriale du groupe qui ne pense plus la programmation de Canal+ de manière indépendante, cherchant par conséquent à l’articuler avec ses offres payantes de chaînes (chaînes issues de CanalSat, mais aussi les bouquets concurrents de BeIN et d’OCS) et les offres en clair du groupe (C8, CStar, la future CNews).

Dans sa nouvelle configuration éditoriale, Canal+, la chaîne premium, est traitée indépendamment de ses cinq déclinaisons auxquelles elle était jusqu’alors systématiquement associée (Canal+ Cinéma, Canal+ Family, Canal+ Séries, Canal+ Sport, Canal+ Décalé). La seule chaîne premium a pour vocation de fédérer le meilleur du cinéma et des créations originales, le sport et le divertissement. Autant dire que l’information et la politique, marqueurs des tranches en clair et gages d’un positionnement délibérément « critique » de Canal+, disparaissent en grande partie de la programmation, qui se concentre sur les programmes que les concurrents de Canal+ n’ont pas : le meilleur des matchs de foot (voir La rem n°30-31, p.32), les films en exclusivité dix mois après leur sortie en salle, les séries originales financées par le groupe (voir La rem n°21, p.79). Cette stratégie de programmes premium et objectivement différents et inéquivalents, si elle dépend des appels d’offres pour les droits sportifs, est en revanche assurée par la convention de la chaîne avec le cinéma. À cet égard, Canal+ milite auprès des professionnels du cinéma pour revoir l’accord signé en 2015 et ramener à six mois l’autorisation de diffusion de films en première exclusivité, en assortissant cette autorisation d’une contrepartie, à savoir l’obligation d’être un éditeur vertueux, donc imposable en France et soumis au régime de la contribution au financement de la production cinématographique. Canal+ cherche ici à renforcer sa différence avec les plates-formes de SVOD que la chronologie des médias pénalise.

Pour les chaînes en clair, la carte de la complémentarité est mise en avant, qu’il s’agisse des chaînes en clair entre elles, mais aussi eu égard à la chaîne premium Canal+. Afin d’afficher clairement cette complémentarité aux yeux du public, les chaînes en clair du groupe ont changé de nom à la rentrée 2016, D8 étant rebaptisée C8, et D17 CStar depuis le 5 septembre 2016. i-Télé devait être rebaptisée CNews le 24 octobre 2016, à l’occasion du premier débat sur les primaires de la droite, mais les tensions sociales au sein de la chaîne ont conduit à repousser à plus tard le changement de nom. Parmi ces trois chaînes, le navire amiral reste C8, qui bénéfice d’une convention de mini-généraliste pour laquelle le groupe vise à terme 8 % d’audience, faisant ainsi de C8 le concurrent direct de M6 et, dans une moindre mesure, de TF1. La chaîne vise en effet la cible des 25-49 ans, notamment les jeunes et les CSP+.

Avec un budget compris entre 100 et 120 millions d’euros par an, C8 est déjà singulière parmi les chaînes de la TNT parce qu’elle bénéficie de moyens plus importants que ses concurrentes. C8 peut ainsi miser, comme sa convention l’y oblige, sur le direct et les talk-shows, des programmes coûteux quand ils accueillent des animateurs stars. À côté de Cyril Hanouna, qui anime l’access prime time (17 h – 21 h), C8 fédère des animateurs comme Laurence Ferrari, Audrey Pulvar, Guy Lagache, ou encore Estelle Denis. Dans la nouvelle configuration de l’offre de télévision de Vivendi, la chaîne devient ainsi la vitrine en clair du groupe et récupère certains des talk-shows emblématiques des anciennes tranches en clair de Canal+, comme Salut les Terriens de Thierry Ardisson, ou La Nouvelle Édition de Daphné Bürki.

LA REFONTE DE L’OFFRE ÉDITORIALE DU GROUPE QUI NE PENSE PLUS LA PROGRAMMATION DE CANAL+ DE MANIÈRE INDÉPENDANTE

C8 bénéficie donc d’une incarnation maximale de ses programmes, un argument essentiel sur le marché de la télévision en clair où l’émiettement des audiences conduit les chaînes à activer les principaux leviers de fidélisation de leur public. Les talk-shows et leurs animateurs en font partie, à côté des programmes phares comme les films et séries en exclusivité, ou encore les émissions de divertissement, emblématiques et « feuilletonnantes », pour lesquelles le rôle des animateurs ou jurys est encore essentiel (The Voice par exemple).

Concernant CStar et CNews, les ambitions sont moindres. CStar dépend de ses obligations de programmation musicale, ce qui limite les possibilités d’évolution éditoriale. Pour cette chaîne, une série quotidienne est toutefois prévue, produite par Banijay, un groupe de production au sein duquel Vivendi a investi en novembre 2015 (voir La rem n°36, p.36). En ce qui concerne i-Télé, la future CNews, le nouveau positionnement éditorial n’est pas sans poser quelques problèmes. La chaîne est la vitrine de l’information du groupe. Parce qu’elle est distancée par BFM TV qui s’est imposée sur le hard news, ses journalistes ont craint de la voir repositionnée en partie sur des thématiques en lien avec la programmation de Canal+, à savoir le sport et le cinéma, afin de bénéficier de synergies.

Ce possible repositionnement, qui implique une plus grande part de formats de type « magazine », a été à l’origine de la plus longue grève de l’audiovisuel français privé depuis 1968, les salariés d’i-Télé s’étant opposés à la direction durant 31 jours, entre octobre et novembre 2016. Sont dénoncés tout à la fois la non-séparation de la direction et de la rédaction en chef, ce qui peut nuire à l’indépendance de l’information, et le maintien à l’antenne de l’émission de Jean-Marc Morandini, soupçonné de corruption de mineurs. Reste qu’i-Télé devra repenser son modèle, la chaîne devant faire face aux concurrences nouvelles de LCI et de France Info : (voir La rem n°40, p.35), ainsi qu’au départ de bon nombre de ses salariés. Une nouvelle grille et une nouvelle identité étaient attendues pour février ou mars 2017.

En ce qui concerne les anciennes déclinaisons de Canal+, ces dernières avaient pour vocation d’approfondir les thématiques fortes de la chaîne premium, tels le cinéma, le sport, les séries, et les programmes familiaux avec Canal+ Family, dont une part importante de la programmation est consacrée à l’animation. Ces thématiques sont désormais au cœur de la nouvelle offre commerciale, qui vient en complément de la chaîne premium, quand cette dernière est commercialisée seule, étant considérée comme autosuffisante. Canal+ Sport est primordiale pour l’offre des bouquets sportifs du groupe. Afin de renforcer l’intérêt de la chaîne, Canal+ a d’ailleurs dû renégocier avec la LFP (Ligue de football professionnel) afin de pouvoir diffuser sur Canal+ Sport deux des trois matchs de Ligue 1 dont il détient les droits, au lieu de les diffuser uniquement sur Canal+, un accord ayant été conclu en décembre 2016. Cette évolution était stratégique, Canal+ Sport ayant perdu l’essentiel de son intérêt après le rachat d’une grande partie des droits de second rang par BeIN Sports (voir La rem n°30-31, p.32). Canal+ Séries et Canal+ Cinéma sont au cœur des nouvelles offres de chaînes articulées autour de la création audiovisuelle et cinématographique. Enfin, Canal+ Family constitue l’élargissement naturel de l’offre de Canal+, dont la programmation est généraliste. En ce qui concerne les chaînes issues de CanalSat, ces dernières intègrent les nouvelles offres organisées par thématiques, CanalSat disparaissant en tant que marque au profit d’une segmentation nouvelle des offres qui s’inscrit pour le groupe dans une rupture à la fois éditoriale et commerciale.

Une offre commerciale en rupture

Les difficultés rencontrées par la chaîne Canal+, fragilisée par un coût élevé de grille que la baisse des abonnés a transformé en déficit, ont conduit le groupe Vivendi à repenser complètement les conditions de sa distribution et de sa commercialisation.

AVEC LA CRÉATION D’UNE GAMME D’ABONNEMENTS, LE GROUPE CANAL+ REDÉFINIT GRANDEMENT SON APPROCHE DU MARCHÉ

Le changement s’est opéré en deux temps, d’abord avec l’abandon de l’auto-distribution systématique pour les bouquets de chaînes sous la marque Canal (exemple : les offres CanalSat), ensuite avec la constitution d’une offre commerciale diversifiée. Il s’agit ici d’une rupture majeure, la chaîne Canal+ comme le bouquet CanalSat étant auto-distribués depuis l’origine. Cette stratégie a permis au groupe de gérer sa « relation client » et d’empêcher les chaînes du câble et du satellite de gagner en autonomie, en même temps que les opérateurs de télécommunications étaient obligés de créer des bouquets alternatifs pour espérer diminuer leur dépendance à l’égard de Canal+, comme Orange avec OCS (voir La rem n°8, p.17). Enfin, l’apparition d’une gamme d’offres rompt avec le principe des abonnements en nombre limité et avec engagement systématique, le groupe Canal+ n’ayant lancé, depuis sa constitution, que trois véritables offres par abonnement : Canal+ en 1984, CanalSat en 1992 et CanalPlay Infinity en 2011 (voir La rem n°21, p.79).

Si Vivendi a imposé une telle rupture, c’est parce que les conditions de marché ont profondément évolué. Concernant l’auto-distribution, le modèle semblait de plus en plus condamné à mesure que les offres over the top rencontraient leur public, leur développement s’accélérant dans le sillage de Netflix. Ces offres ont eu pour effet de faire émerger des alternatives à Canal+ pour les opérateurs de télécommunications, l’exemple de SFR avec Patrick Drahi étant probablement le plus emblématique (voir La rem n°40, p.45), en même temps qu’elles ont tiré les prix vers le bas, rendant très onéreux l’abonnement à Canal+ (40 euros contre 9 euros pour Netflix ou 13 euros pour BeIN) et à son complément CanalSat (20 euros). Enfin, avec la création d’une gamme d’abonnements, le groupe Canal+ redéfinit grandement son approche du marché. Il renonce à ses offres tout-en-un, qui devaient satisfaire toute la famille (les « piliers » thématiques de Canal+ et CanalSat), pour mieux répondre à la segmentation du public sur le marché de la télévision payante. Cette stratégie nouvelle de segmentation des offres, permettant par ailleurs d’imaginer des forfaits d’entrée de gamme plus compétitifs face aux nouvelles concurrences, avait été envisagée une première fois pour l’offre payante dédiée au sport, Canal+ ayant tenté en vain d’obtenir l’aval de l’Autorité de la concurrence pour son projet de distribution exclusive des offres de BeIN Sports (voir La rem n°40, p.40).

AVEC LE RENONCEMENT À L’AUTO-DISTRIBUTION, LE GROUPE CANAL+ A FAIT LE CHOIX D’UNE MODIFICATION EN PROFONDEUR DE L’OFFRE DE TÉLÉVISION PAYANTE

La nouvelle offre du groupe Canal+, commercialisée depuis le 15 novembre 2016, reprend ce même principe de segmentation et d’association aux concurrents, mais cette fois en l’étendant à l’ensemble des thématiques et sans dépendre d’accords de distribution exclusive pouvant susciter un veto de l’Autorité de la concurrence.

Après une première phase de communication, qui s’est traduite par la mise sur le marché, le 21 septembre 2016, de 50 000 abonnements à Canal+, pour une consultation sur PC, à 20 euros par mois sans engagement, le groupe a présenté, le 13 octobre 2016, sa nouvelle offre commerciale. L’objectif était d’augmenter le nombre d’abonnés, afin de passer de 5 à 10 millions d’abonnés en France, sans renoncer pour autant à sa marge, malgré la baisse des prix des abonnements. Le but est donc d’inciter les nouveaux clients à souscrire progressivement des abonnements à des tarifs élevés, les abonnements d’entrée de gamme servant de tremplin vers des offres plus onéreuses.

L’abonnement de base sera facturé 19,90 euros par mois et concernera la chaîne Canal+ seule, sans engagement si elle est regardée sur PC et tablette, avec un engagement de 24 mois si elle est regardée aussi sur récepteur de télévision. Avec un engagement de 12 mois seulement, le tarif de base est à 24,90 euros, donc le double de BeIN et presque le triple de Netflix. Reste qu’il s’agit quand même d’une division par deux du prix de l’abonnement à la chaîne Canal+, celui-ci étant amputé des cinq déclinaisons de la chaîne. L’accès aux chaînes de la TNT, à Canal+ à la demande et à l’application MyCanal sont en revanche maintenus, afin de cibler notamment les jeunes qui regardent les programmes des chaînes sur des terminaux autres qu’un téléviseur.

La gamme s’élargit ensuite, avec un système de choix multiples. Le forfait le moins cher couple la chaîne Canal+ et 57 chaînes thématiques de l’ex-CanalSat (chaînes de divertissement et chaînes jeunesse). Baptisé Canal Essentiel Family, il est facturé 29,90 euros par mois pour 24 mois d’engagement, et 34,90 euros pour 12 mois. Il est également possible de conjoindre Canal+ à ses cinq déclinaisons, facturées 15 euros par mois pour 24 mois d’engagement, soit 34,90 euros en tout contre 40 euros précédemment. Enfin, les offres couplées les plus performantes sont celles ciblées sur le sport d’une part, sur les séries et le cinéma d’autre part. Pour 30 euros en plus de l’abonnement à Canal+, soit 49,90 euros par mois, un abonné peut avoir Canal+, Canal+ Sport, les chaînes BeIN et Eurosport, soit la totalité de la Ligue 1 et la quasi-totalité des droits sportifs disponibles en France, à l’exception de ceux détenus par SFR Sports que Canal+ espère intégrer à terme.

Cette offre met de facto fin au morcellement des offres sportives en proposant une offre universelle, ce qui permettra d’éviter, pour les fans, le double abonnement à Canal+ et à BeIN Sports. Pour 20 euros de plus, soit 39,90 euros par mois avec la chaîne Canal+, le pack « ciné-séries » propose les chaînes Canal+ cinéma et séries, la chaîne Paramount et le bouquet OCS, soit là encore une offre très riche de films et séries, avec de véritables exclusivités permettant de proposer une alternative aux services de SVOD. Enfin, un forfait tout-en-un, fédérant la totalité des offres, est proposé à 99 euros, preuve que le groupe Canal+ ne renonce pas à facturer la télévision payante à des tarifs sans commune mesure avec ce que pratiquent les acteurs de la SVOD.

Au-delà de cette nouvelle offre commerciale, c’est probablement avec le renoncement à l’auto-distribution que le groupe Canal+ a fait le choix d’une modification en profondeur de l’offre de télévision payante, faisant tomber la barrière érigée face aux opérateurs depuis le début des années 2000 et le développement des offres triple play. Avec cette stratégie, l’entrée de gamme de Canal+ impose un nouveau standard de marché, aux tarifs très inférieurs aux offres de BeIN ou de Netflix, qui comptaient jusqu’alors parmi les moins chères. Elle chute en effet à 2 euros pour les abonnés détenteurs d’une Freebox Revolution, bien que les contenus proposés sont loin d’avoir le même pouvoir d’attraction que ceux de BeIN ou de Netflix.

Un pari sur le futur de la télévision payante

En s’accordant avec Free et Orange pour qu’ils distribuent une partie de l’offre auparavant regroupée dans CanalSat, le groupe Canal+ a certes renoncé à l’auto-distribution, mais il s’est assuré qu’il pourrait atteindre son objectif de 10 millions d’abonnés dans des délais très courts.

Concernant Free, la nouvelle offre est active depuis le 27 octobre 2016 et concerne tous les abonnés Freebox Revolution, soit 3 millions de foyers. Moyennant seulement 2 euros par mois, ajoutés au forfait Free à 37,98 euros par mois, les abonnés disposent de 50 chaînes supplémentaires, dont deux thématiques très bien représentées, le sport avec Eurosport et surtout la jeunesse avec les chaînes Disney et Nickelodeon. Ce type d’offre élargie était facturé 30 euros par mois dans le cadre de CanalSat, même si l’offre était un peu plus large.

L’économie est donc particulièrement significative pour les abonnés Freebox Revolution, qui auront moins intérêt à aller chercher une offre élargie de sport, mais surtout de programmes jeunesse sur les services de SVOD (les programmes jeunesse sont l’un des motifs principaux d’abonnement). Pour le groupe Canal+, qui avait entre 300 000 et 400 000 abonnés via Free, c’est donc une multiplication par dix de son nombre d’abonnés chez l’opérateur, Canal+ ayant pris acte du fait que les opérateurs internet sont désormais devenus les principaux distributeurs d’offres vidéo en France.

En termes financiers, la baisse brutale du coût de l’abonnement est en partie compensée, pour Canal+, par la suppression des coûts de distribution et de gestion de la « relation client ». Enfin, son modèle de coûts fixes ne le pénalise pas en cas de hausse brutale du nombre d’abonnés à bas coût, si ceux-ci peuvent ensuite se tourner vers des forfaits plus onéreux. En effet, en intégrant l’application MyCanal dans l’offre Freebox Revolution, Canal+ se réserve, malgré le renoncement à l’auto-distribution, un canal de contact avec les abonnés Free via leurs terminaux mobiles. Cette cible est stratégique pour Canal+ : souvent éloignée du téléviseur, assez jeune et technophile, elle est fortement représentée chez Free et constitue la population qui permettra, demain, de renouveler le parc d’abonnés de Canal+, plutôt vieillissant. De son côté, Free récupère une offre élargie lui permettant de résister aux offres convergentes comme celles de SFR.

Annoncé début octobre 2016, le partenariat avec Orange est différent, mais repose sur le même principe. Canal+ renonce à l’auto-distribution et confie à Orange le soin de distribuer un bouquet Famille by Canal comprenant 46 chaînes, où, là encore, l’offre jeunesse domine alors qu’Eurosport n’est pas présent. L’offre est réservée aux seuls abonnés fibre d’Orange, soit 1,2 million de clients, et il faut s’acquitter de 43,99 euros par mois (et 3 euros supplémentaires de location de box). Orange ayant une gamme complexe de tarifs et communiquant sur ses tarifs promotionnels, le coût réel de l’offre Famille by Canal est masqué, mais il est d’environ 5 euros par mois (la comparaison entre l’offre fibre d’entrée de gamme et l’offre correspondante avec Famille ne se fait pas sur des prestations comparables).

Pour Orange, cette offre est un moyen d’augmenter son revenu par abonné et de développer la fibre, quand ses concurrents sont performants sur les offres à bas coût en ADSL. Ainsi, l’offre fibre et Famille est facturée 29,99 euros par mois pendant un an pour les nouveaux abonnés. Ces abonnés, prêts à payer plus cher leur accès à internet, sont donc les mêmes qui peuvent envisager plus facilement de payer pour une offre complémentaire de chaînes de télévision, Canal+ faisant déjà partie de leur environnement de marque grâce à son nouvel accord avec Orange.

Ce pari de Canal+, avec ses nouvelles offres commerciales et sa nouvelle politique de distribution, va potentiellement modifier en profondeur le paysage de la télévision en France, qu’il s’agisse des offres payantes ou des offres gratuites. Tout d’abord, l’émergence d’offres universelles pour le sport met fin à l’émiettement des droits, quand il s’agit encore d’un point faible des offres de SVOD pour les films et séries. Sur ce segment, l’alliance des offres de Paramount, d’Orange avec OCS (qui distribue les chaînes HBO en France) et Canal+ fait émerger un concurrent très sérieux face à Netflix ou Amazon.

LE GROUPE PEUT ESPÉRER RELANCER L’INTÉRÊT POUR LA TÉLÉVISION PAYANTE EN FRANCE

Enfin, en instaurant une gamme de forfaits, avec des prix plus bas sur l’offre de base limitée à la seule chaîne Canal+, le groupe peut espérer relancer l’intérêt pour la télévision payante en France. Si le pari est gagné, la part d’abonnés à une offre de télévision payante augmentera de 25 % à près de 50 % des foyers français grâce à Canal+, rapprochant ainsi la France des standards britanniques où, grâce à Sky, quelque 45 % des foyers britanniques ont un abonnement à une offre de télévision payante. À l’heure du cord cutting ce pari est audacieux, même si la comparaison avec le marché américain n’est pas pertinente (voir La rem n°38-39, p.55). C’est là que réside l’ambition de Canal+ : ériger ainsi une muraille de Chine face à Netflix. En présentant les nouvelles offres, Maxime Saada, le PDG du Groupe Canal+, a en effet évoqué une plate-forme intégrée de Canal en ligne, pensée pour le multi-écran qui, au-delà des chaînes, proposera de la vidéo en téléchargement, mais aussi à terme des mini-séries pour mobile (Studio+), ou encore de la musique (Universal Music) et des jeux vidéo (Gameloft) grâce aux actifs détenus par Vivendi. Investissant à perte sur les séries et le cinéma, Netflix ne pourra pas financer le développement d’une offre exclusive de contenus dans le jeu vidéo ou la musique, que Canal pourra proposer en France, au côté d’alternatives venues des opérateurs (SFR, SFR Sports et SFR Presse) ou d’Amazon avec Prime.

Enfin, le renoncement à l’auto-distribution, notamment pour les 3 millions d’abonnés Freebox Revolution, conduit à une augmentation très rapide du taux de pénétration de la télévision payante dans les foyers. Les équilibres entre les chaînes pourraient s’en trouver très rapidement modifiés. D’une part, les chaînes payantes incluses dans l’offre Free vont bénéficier d’une visibilité très importante par rapport aux autres chaînes payantes non intégrées dans cette offre d’entrée de gamme. Eurosport ou Paris Premiere, qui font partie des chaînes thématiques au sein de l’offre Free, pourraient voir leur audience augmenter fortement. Pour l’offre jeunesse, l’augmentation importante du nombre de chaînes va à l’inverse fragiliser les tranches jeunesse des chaînes de la TNT, ou encore Gulli. Une chaîne comme RMC Découverte sera également concurrencée par Planète+, National Geographic ou Discovery. Pour ces chaînes payantes mieux distribuées, la notoriété va croître, et avec elle l’audience et les recettes publicitaires. Cette concurrence nouvelle sur le marché publicitaire va probablement pénaliser les chaînes de la TNT nées en 2012. Thématiques, elles ciblent les mêmes annonceurs, ce qui n’est pas sans poser des questions sur la capacité du seul marché publicitaire à les pérenniser.

Sources :

  • « Pourquoi Canal+ a l’obligation de se réinventer », David Barroux, Les Echos,
    7 mars 2016.
  • « Les plages en clair tournent au casse-tête chez Canal+ », Marina Alcaraz, Les Echos 10 mai 2016.
  • « Pour Bolloré, D8 vise 8 % à 10 % d’audience », Caroline Sallé et Enguérand Renault, Le Figaro, 27 mai 2016.
  • « Les animateurs désertent Canal+ », Caroline Sallé, Le Figaro, 3 juin 2016.
  • « Canal+ réduit drastiquement ses plages en clair et muscle C8 », Marina Alcaraz, Les Echos, 28 juin 2016.
  • « Privilégier l’audience sur C8 et la satisfaction des abonnés sur Canal+ », interview de Gérald-Brice Viret, directeur des antennes du Groupe Canal+, par Enguérand Renault et Caroline Sallé, Le Figaro, 31 août 2016.
  • « Canal+ va révolutionner son modèle économique », David Barroux et Nicolas Madelaine, Les Echos, 19 septembre 2016.
  • « La chaîne Canal+ à 20 euros sans engagement », interview de Maxime Saada, DG du Groupe Canal+, par Caroline Sallé et Enguérand Renault, Le Figaro, 20 septembre 2016.
  • « Free et CanalSat boulevers la télé payante », Enguérand Renault, Le Figaro, 28 septembre 2016.
  • « Free intègre CanalSat dans ses offres pour 2 euros de plus », Romain Gueugneau et Nicolas Madelaine, Les Echos, 28 septembre 2016.
  • « Canal+ France fait table rase du passé », Enguérand Renault, Le Figaro, 6 octobre 2016.
  • « Orange enrichit son offre de contenus en s’alliant avec CanalSat », Fabienne Schmitt et Nicolas Madelaine, Les Echos, 6 octobre 2016.
  • « La révolution du modèle Canal+ va bousculer les chaînes gratuites », Marina Alcaraz et Nicolas Madelaine, Les Echos, 10 octobre 2016.
  • « Canal révolutionne son modèle pour doubler rapidement de taille en France », Nicolas Madelaine, Les Echos, 14 octobre 2016.
  • « Canal+ veut doubler le nombre de ses abonnés dès l’année prochaine », Caroline  Sallé, Le Figaro, 14 octobre 2016.
  • « Canal paiera pour aménager la diffusion de la Ligue 1 de foot », Nicolas Madelaine, avec Christophe Palierse, Les Echos, 15 décembre 2016.
  • « i-Télé assure le CSA de son retour à la normale en février », Enguérand Renault, Le Figaro, 12 janvier 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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