En Italie, Il Sole 24 Ore tombe de son piédestal

Après la révélation de fraudes massives sur le nombre d’abonnés et les performances économiques, le « fleuron » de la presse européenne est contraint à une réorganisation drastique.

Le 2 mai 2016, Il Sole 24 Ore fêtait somptueusement ses 150 ans à la Scala de Milan. L’un des plus vieux titres d’Europe, contrôlé par la Confindustria, l’organisation du patronat italien, se targuait alors d’avoir réussi là où tous les autres titres de presse avaient échoué : la diffusion papier du quotidien avait augmenté entre 2011 et 2014 de quelque 38 %, rapprochant Il Sole 24 Ore de son principal concurrent, le Corriere della Sera (voir La rem n°38-39, p.37) ; la diffusion numérique était remarquable, faisant du titre le premier support d’information sur internet en Italie. Le groupe dans son ensemble, soit 1 200 employés dont 200 journalistes, répartis entre le quotidien, Radio 24, une agence de presse (Radiocor), une école de formation, ainsi qu’entre quelques magazines, était rentable et dynamique.

Les performances exceptionnelles constatées depuis 2011 faisaient suite à l’arrivée cette même année d’un nouveau directeur à la tête du quotidien, Roberto Napoletano. Cinq ans plus tard, l’enthousiasme est retombé et, en octobre 2016, 74,4 % des membres du comité de rédaction désavouaient leur directeur, qui conservait alors encore le soutien de la Confindustria. Entre-temps, les chiffres exceptionnels avancés se sont révélés très favorablement gonflés. Sur le plan financier, le groupe a perdu 300 millions d’euros entre 2011 et 2016 et il affiche une perte de 61,6 millions d’euros en 2016, des chiffres négatifs qui illustrent une réalité plus sombre concernant les succès d’Il Sole 24 Ore auprès des lecteurs. La hausse de 38 % de la diffusion papier entre 2011 et 2014, portant la diffusion du quotidien à 362 000 exemplaires, ne s’est en réalité pas produite et de nombreux exemplaires du quotidien étaient imprimés pour être ensuite détruits, l’important étant de gonfler la diffusion pour retenir les annonceurs et augmenter le prix des espaces publicitaires. Après les bons chiffres publiés en mai 2014, ceux corrigés et publiés en 2016 font état d’une baisse de diffusion de 120 000 lecteurs. Sur internet, le succès des abonnements numériques est dû en partie à un algorithme complété de listes de faux abonnés, pour un total de 100 000 abonnements fantômes.

Sans surprise, le groupe 24 Ore doit s’engager dans un plan drastique de réduction des coûts, ce que prévoit son projet industriel pour 2017-2020, et il devra faire face également à son passé, la justice, les actionnaires comme les annonceurs bernés devant demander des comptes au groupe. La première étape a débuté avec l’ouverture d’une enquête par le parquet de Milan, en mars 2017, qui concerne dix dirigeants du groupe, dont Roberto Napoletano. Le parquet de Milan soupçonne des comptes truqués et des falsifications de documents concernant le nombre d’abonnés numériques entre 2013 et 2015.

Sources :

  • « Il Sole 24 Ore dans la tourmente », Olivier Tosseri, Les Echos, 17 octobre 2016.
  • « Il Sole 24 Ore au bord de la faillite », Olivier Tosseri, Les Echos, 14 mars 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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