La nouvelle stratégie d’Orange dans les contenus, en reposant sur des partenariats, conduit le groupe à se désengager de la télévision payante. Si un accord est conclu avec Canal+ pour les chaînes Orange Cinéma Séries, la cession d’Orange Sport sera plus complexe avec, en arrière plan, les enjeux du prochain appel d’offres sur les matchs de la Ligue 1 de football.
Annoncée dès l’arrivée de Stéphane Richard à la tête de France Télécom-Orange en mars 2010, la redéfinition de la stratégie de l’opérateur de télécommunications sur les contenus entraîne actuellement une recomposition du marché français de la télévision payante. Orange ne se retire pas définitivement du marché mais privilégie désormais les partenariats technologiques ou les participations minoritaires, comme l’a précisé son directeur général le 5 juillet 2010, à l’occasion de la présentation de son plan stratégique quinquennal. Stéphane Richard a en fait pris acte de l’échec de la stratégie d’exclusivité dans les contenus menée par le groupe depuis 2007, laquelle était une réponse à la fusion TPS–CanalSatellite. La fusion des deux bouquets avait en effet conduit au basculement en exclusivité de chaînes comme LCI ou Eurosport, auparavant distribuées par Orange qui a dû chercher à sécuriser son accès aux droits en éditant lui-même ses contenus (voir le n°8 de La revue européenne des médias, automne 2008). Coûteuse, notamment dans le football où Orange verse chaque année 203 millions d’euros à la Ligue de football professionnel (LFP) pour diffuser principalement le match du samedi soir (voir le n°6-7 de La revue européenne des médias, printemps-été 2008), cette stratégie n’a pas permis au groupe de gagner de nouveaux abonnés, ses performances étant même moins bonnes que celles de ses concurrents SFR et Bouygues Télécom pendant la même période.
La chaîne Orange Sport et les chaînes Cinéma Séries ont toutefois conquis 752 000 abonnés Orange sur un parc de 2,7 millions d’abonnés ADSL Orange éligibles : une belle performance qui reste cependant insuffisante, face aux 5 millions d’abonnés à Canal+. Enfin, la stratégie de double exclusivité d’Orange, qui a subordonné l’accès à ses chaînes à la souscription préalable à un abonnement à son offre ADSL, a longtemps été menacée (voir le n°10-11 de La revue européenne des médias, printemps-été 2009). Paradoxalement, c’est au moment même où Orange a annoncé son souhait de trouver des partenaires pour ses chaînes payantes que la Cour de cassation reconnaissait l’exclusivité d’Orange Sport au regard du droit du consommateur, une procédure instruite par l’Autorité de la concurrence étant toujours en cours. Ainsi, dans son arrêt du 13 juillet 2010, la Cour de cassation a reconnu que « tous les fournisseurs d’accès à Internet s’efforcent d’enrichir le contenu de leurs offres pour les rendre plus attractives par des services innovants ou l’acquisition de droits exclusifs sur des contenus audiovisuels », le consommateur se déterminant « en connaissance de cause ». Orange pourra donc miser sur ses exclusivités, mais ces dernières passeront finalement par des partenariats, comme il l’a fait avec Deezer (voir infra) ou avec DailyMotion, Orange ayant annoncé devenir l’actionnaire de référence du site d’échange de vidéos le 25 janvier 2011.
La même stratégie de partenariat technologique sera donc appliquée aux chaînes Orange Cinéma Séries et Orange Sport.
Canal+ et Orange, partenaires sur le cinéma et les séries
Les candidats à la reprise des chaînes d’Orange Cinéma Séries ont été nombreux. Dès l’annonce du nouveau plan stratégique, Canal+, leader de la télévision payante en France, s’est imposé comme un interlocuteur naturel. En effet, en s’associant avec Orange, Canal+ prendrait le contrôle de 752 000 abonnés supplémentaires (en incluant Orange Sport, l’offre cinéma comptabilisant 494 000 abonnés), une audience considérable quand on sait que le coût de recrutement d’un abonné oscille entre 300 et 350 euros. Les chaînes d’Orange ont également intéressé l’autre grand acteur de la télévision payante en Europe, le groupe News Corp. qui contrôle les bouquets Sky en Italie, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne (voir le n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008). Enfin, outre le groupe AB, les salariés d’Orange Cinéma Séries ont soutenu le fonds Parsifal, lequel a racheté Canal+ Nordic au groupe Canal+ en 2002. Celui-ci a déposé en novembre 2010 une offre de reprise après s’être allié au fonds SearchLight, créé par des anciens du fonds KKR habitués au rachat de groupes de médias (voir le n°4 de La revue européenne des médias, automne 2007). Mais, les négociations entre Canal+ et Orange, commencées dès fin août 2010, se sont traduites par l’annonce, le 19 janvier 2011, de la création d’une société commune entre CanalSat et Orange, détenue à parité, qui accueillera les chaînes Cinéma Séries d’Orange et TPS Star de Canal+, les deux activités étant à ce jour déficitaires.
Le nouvel ensemble constituera un bouquet concurrent de celui proposé par CanalSatellite. Il s’appuiera notamment sur une nouvelle chaîne premium, Orange Ciné Star, issue de la fusion de la chaîne cinéma Orange Cinemax et de TPS Star, laquelle comptabilise déjà 600 000 abonnés. La nouvelle chaîne sera dotée d’un budget de 100 millions d’euros pour l’achat de programmes et sera distribuée sur toutes les plates-formes, sur la TNT payante, sur l’ADSL et le câble pour un prix compris entre 10 et 15 euros par mois. Enfin, le bouquet inclura les quatre autres chaînes Orange, Ciné Happy, Ciné Choc, Ciné Novo et Ciné Géants. L’opération sera soumise aux autorités de concurrence à Bruxelles, qui pourront ensuite renvoyer le dossier à l’Autorité de la concurrence française. Pour le groupe Canal+, la constitution de cette nouvelle offre fait émerger une concurrence qu’il contrôle, alors même que les autorités scrutent régulièrement ses agissements sur le marché de la télévision payante qu’il domine (voir le n°12 de La revue européenne des médias, automne 2009). Malgré un budget de 100 millions d’euros alloué aux achats de droits, la fusion d’Orange Cinemax et de TPS Star va diminuer la concurrence pour l’acquisition des droits des films en exclusivité, les studios ayant ces dernières années profité de la compétition entre Canal+ et Orange.
Le marché des chaînes sportives s’anime avec la vente d’Orange Sport et le lancement de CFoot par la LFP sur la TNT payante
Alors que le partenariat entre Orange et Canal+ concernant les chaînes Cinémas Séries de l’opérateur de télécommunications a été rapidement mis en place, la cession d’Orange Sport se révèle plus compliquée. En effet, le coût d’achat des droits pour les films et les séries sur le bouquet d’Orange (près de 100 millions d’euros par an) n’a aucune commune mesure avec les 203 millions d’euros versés chaque année par Orange pour diffuser le match du samedi soir de la Ligue 1. Pour les chaînes cinéma, la rentabilité est probable dans un futur proche, ce qui ne va pas de soi pour la chaîne sport. Les candidats au rachat en sont tous conscients, comme l’est également la Ligue de football professionnel (LFP). Celle-ci va d’ailleurs lancer sa propre chaîne pour faire émerger une concurrence nouvelle face à Canal+, après le retrait d’Orange, lors du prochain appel d’offres sur ou pour les matchs des saisons 2012-2016 de la Ligue 1.
Dans un premier temps, Orange a proposé à la LFP d’entrer au capital d’Orange Sport, gratuitement d’abord avant d’en prendre le contrôle à l’horizon 2012. La chaîne, qui ne serait plus réservée alors aux seuls abonnés Orange, pourrait ainsi conquérir jusqu’à 2 millions d’abonnés en 2012, Canal+ s’étant proposé pour commercialiser la chaîne dans ses offres. En effet, la transaction doit se jouer à trois dans la mesure où Canal+ a annoncé qu’il ne comblerait pas le manque à gagner sur les droits du football lié au retrait d’Orange, tout en soutenant la LFP pour qu’elle conserve les moyens d’investir dans le football, la qualité des matchs proposés ayant des conséquences directes sur le recrutement des abonnés par Canal+.
Après s’être réunis le 9 septembre 2010, les quarante clubs professionnels de football ont finale- ment renoncé à prendre le contrôle d’Orange Sport, doutant de la possibilité de conquérir 2 millions d’abonnés avec le match de Ligue 1 du samedi soir et l’essentiel des matchs de la Ligue 2, puisque la LFP n’était parvenue à commercialiser qu’un match sur dix (à Eurosport, pour 10 millions d’euros par an). Pour les clubs, regroupés au sein de l’Union des clubs professionnels français (UCPF), seule une nouvelle concurrence lors de l’appel d’offres sur les droits de la Ligue 1 leur garantira de maintenir leurs recettes, qui s’élèvent à 668 millions d’euros par an pour la période 2008-2012. Cette concurrence passe par l’émergence d’une chaîne disponible sur la TNT payante, donc positionnée face à Canal+ et non incluse dans un bouquet élargi de chaînes. Par ailleurs, si certains droits ne sont pas vendus lors du prochain appel d’offres, cette nouvelle chaîne pourrait les récupérer pour les facturer autrement, en augmentant par exemple les coûts de reprise par les distributeurs du câble et de l’ADSL. Ces considérations, partagées par les clubs, ont finalement conduit ces derniers à décider, le 26 novembre 2010, de postuler pour l’obtention d’une fréquence sur la TNT payante pour une chaîne de football éditée par la LFP.
Le 13 décembre 2010, Frédérique Thiriez, président de la LFP, a défendu devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) son projet de chaîne, baptisé CFoot. Cette chaîne 100 % foot a vocation à diffuser de l’information, des magazines, des documentaires et bien sûr des matchs. Elle ne sera pas nécessairement la vitrine de la Ligue 1. Son budget limité de 18 millions d’euros par an a conduit la LFP à proposer la rediffusion sur CFoot des 9 matchs de la Ligue 2 dont les droits n’ont pu être cédés, et de deux matchs de la ligue 1 en différé. Face au CSA, le président de la LFP a promis un lancement en juillet 2011, pour le début de la nouvelle saison de football, et a précisé miser sur 700 000 abonnés à l’horizon 2014 sur la TNT payante, et 3,5 millions d’abonnés toutes plates- formes confondues. Pour atteindre une telle audience, la chaîne sera vendue environ 4 euros par mois et devrait être rentable dès 2012. Le 14 décembre 2010, le CSA donnait le résultat de l’appel d’offres sur la fréquence de TNT payante libérée par Canal J (Lagardère) et choisissait CFoot face aux deux autres offres concurrentes (Canal+ Family et TV Numéric). Pour le CSA, le football peut donner un nouvel élan à la TNT payante qui n’a conquis en cinq ans que près de 1 million d’abonnés, essentiellement sur les chaînes TNT de Canal+ (voir supra). Sur le plan réglementaire, le CSA n’a pas décelé de conflit d’intérêt lié au fait que la LFP éditera CFoot tout en organisant l’appel d’offres sur les droits des matchs, CFoot n’ayant pas vocation à y répondre, sauf si certains matchs de Ligue 1 ne trouvent pas preneur à un prix suffisant. L’objectif est bien de sanctuariser les montants des droits de la Ligue 1, mais la question reste de savoir s’il y a de la place pour un acteur prêt à débourser chaque année 200 millions d’euros dans le football et dont l’offre serait rentable par rapport à celle de Canal+ ?
Les négociations sur l’avenir d’Orange Sport témoignent d’ailleurs des difficultés que devrait rencontrer la LFP, les candidats potentiels au rachat n’envisageant pas de proposer des matchs de Ligue 1 aux tarifs élevés sans disposer au préalable d’une taille critique. Outre Canal+ qui suit depuis son ouverture le dossier Orange Sport, Orange est en discussion avec TF1 (Eurosport) et Disney (ESPN) pour la cession de sa chaîne. Sa valorisation dépendra de la stratégie du repreneur, selon qu’il souhaitera se positionner sur le football, récupérer un parc d’abonnés ou récupérer des droits sportifs bon marché. C’est par exemple ce qui suscite l’intérêt d’Eurosport, son directeur général pour la France, Arnaud Simon, ayant déclaré à La Tribune qu’il était d’abord intéressé par les droits détenus par Orange Sport sur les masters 1000 de tennis et le championnat de handball, droits complémentaires de ceux qui sont détenus par Eurosport. En cas de reprise d’Orange Sport, Eurosport ne participera donc pas à l’appel d’offres sur les droits de la Ligue 1 parce que, selon son directeur général, « économiquement, cela n’aurait aucun sens ».
Sources :
- « Orange cherche des partenaires pour rester un acteur clef de la télévision », Solveig Godeluck, Les Echos, 6 juillet 2010.
- « L’exclusivité d’Orange Sport reconnue », I.R., La Tribune, 15 juillet 2010.
- « Orange pourra réserver sa chaîne Orange Sport à ses abonnés », N.S., Les Echos, 15 juillet 2010.
- « Orange veut faire de la Ligue de foot et de Canal+ des partenaires », N.S., Les Echos, 27 juillet 2010.
- « Télévision payante : le retrait d’Orange remet Canal+ en position de force », Guy Dutheil, Le Monde, 31 juillet 2010.
- « Orange et Canal+ finalisent leurs négociations sur les chaînes cinéma », Jamal Henni, La Tribune, 27 août 2010.
- « Les clubs de foot sceptiques sur le reprise d’Orange Sport », Sandrine Cassini, La Tribune, 9 septembre 2010.
- « AB s’intéresse aux chaînes cinéma d’Orange », Jamal Henni, La Tribune, 6 octobre 2010.
- « Le fonds Parsifal candidat au rachat d’Orange cinéma séries », Paule Gonzalès, Le Figaro, 9 novembre 2020.
- « Eurosport voit la vie d’Orange Sport sans la Ligue 1 », Sandrine Cassini, La Tribune, 29 novembre 2010.
- « Droit du foot : les clubs donnent le coup d’envoi », Paule Gonzalès et Cyrille Haddouche, Le Figaro, 29 novembre 2010.
- « TNT payante : les candidats présentent leurs projets au CSA », N.S., Les Echos, 14 décembre 2010.
- « Trois projets pour sauver la TNT payante », Paule Gonzalès, Le Figaro, 14 décembre 2010.
- « La Ligue de football va lancer sa chaîne l’été prochain », Sandrine Cassini, La Tribune, 15 décembre 2010.
- « La Ligue lance sa chaîne foot face au monopole de Canal+ », Nathalie Silbert et Philippe Bertrand, Les Echos, 15 décembre 2010.
- « Orange renonce à être un opérateur de chaînes de télévision », Cécile Ducourtieux et Guy Dutheil, Le Monde, 18 décembre 2010.
- « Orange et Canal+ fiancent leurs chaînes cinéma », Nathalie Silbert, Les Echos, 20 janvier 2011.
- « Orange devient l’actionnaire de référence de DailyMotion », G. de C., Les Echos, 24 janvier 2011.