News Corp. peut racheter BSkyB

Après s’être engagé à renoncer au contrôle total de la deuxième chaîne d’information en continu du pays, Sky News, le groupe News Corp. aura finalement obtenu l’autorisation de s’emparer de la totalité du capital de BSkyB, malgré l’avis négatif de l’Ofcom. Si l’opération n’a pas d’incidence concurrentielle directe sur le marché audiovisuel britannique, elle renforce sans aucun doute le poids du groupe News Corp. sur le marché britannique des médias, au point de susciter l’inquiétude de ses concurrents qui dénoncent une atteinte au pluralisme des médias.

Une affaire de pluralisme et de politique…

Après l’offre de 7,8 milliards de livres (9,4 milliards d’euros) pour s’emparer des 60,9 % de capital de BSkyB qu’il ne détient pas encore (voir REM n°10, p.19), le groupe News Corp. a dû faire face à la fronde généralisée des autres médias britanniques. Certes, News Corp. contrôle de fait BSkyB et ses 10 millions d’abonnés en tant qu’actionnaire principal, avec 39,1 % du capital. En prenant l’intégralité du capital de BSkyB, ses concurrents sur le marché britannique craignent que News Corp. ne lance une guerre des prix par une politique d’abonnements couplés avec ses autres médias et mette ainsi en place des synergies entre ses différents supports, par exemple autour des matchs de football de la Premiere League dont le groupe détient les droits. En effet, sur le marché britannique, News Corp. est, en plus de l’audiovisuel, l’un des principaux acteurs de la presse avec sa filiale News International, qui cumule 37 % de parts de marché au Royaume-Uni. Celle-ci compte notamment le quotidien généraliste The Times, désormais payant sur Internet, mais également des journaux populaires, un quotidien comme The Sun et, pour les magazines, The News of the World, qui est le pendant du Sun en week-end. Enfin, News Corp. édite également la deuxième chaîne d’information en continu du pays, Sky News, qui arrive juste derrière BBC News. La rédaction de Sky News alimente aussi de ses contenus la quasi- totalité des radios commerciales au Royaume-Uni.

Face au poids de News Corp. sur le marché britannique, au cas où ce dernier s’emparerait de la totalité de BSkyB, les différents médias du pays se sont unis pour envoyer, en avril 2011, une lettre commune au gouvernement britannique pour lui demander d’empêcher l’opération qui, selon eux, menacerait le pluralisme des médias. Parmi les signataires, on retrouve les opposants traditionnels au groupe News Corp., au premier rang desquels la BBC, Channel 4 ou encore The Guardian et The Mirror pour la presse proche du Labour, mais également des quotidiens conservateurs, assez proches d’ordinaire du Sun dans leurs positions, comme le Daily Telegraph et le Daily Mail. Face à cette alliance, News Corp. joue la carte réglementaire en s’appuyant sur un rapport de l’Ofcom, l’autorité britannique de régulation des communications. Celle-ci avait reconnu en 2007 que la participation de News Corp. de 39,1 % au capital de BSkyB lui donnait de fait le contrôle stratégique du groupe ; James Murdoch, le fils de Rupert Murdoch qui dirige News Corp., étant d’ailleurs à cette époque à la tête de BSkyB. Une montée à 100 % du capital ne constituerait donc, du point de vue de News Corp., qu’une opération financière qui ne changera rien à l’équilibre et à la diversité des médias au Royaume- Uni.

A vrai dire, l’affaire est plus complexe et a pris un tour politique. Juste après la notification de l’offre de News Corp. sur BSkyB auprès de la Commission européenne, le 3 novembre 2010, le gouvernement britannique, par la voix de Vince Cable, ministre libéral-démocrate de l’industrie et des entreprises, saisissait l’Ofcom, le 4 novembre 2010, pour déterminer si l’opération menaçait, au Royaume- Uni, le pluralisme des médias. En effet, si l’opération relève des autorités européennes du point de vue du droit de la concurrence, elle dépend des autorités nationales en matière de régulation des médias et de pluralisme. Or, en faisant saisir l’Ofcom par Vincent Cable, qui n’a jamais bénéficié du soutien des journaux de News Corp., et non par Jeremy Hunt, le ministre de la culture britannique, issu des rangs des conservateurs, le gouvernement a donné dans un premier temps un signal fort en faveur du pluralisme, la saisie de l’Ofcom retardant d’emblée l’opération, le temps pour l’autorité de régulation de rendre ses conclusions.

Entre-temps, les équilibres se sont redéfinis au sein de la coalition gouvernementale britannique. Piégé par des journalistes du Telegraph se faisant passer pour des électeurs, Vincent Cable a confessé être « en guerre contre Murdoch ». Pour éviter un conflit d’intérêt, Jérémy Hunt a donc récupéré le dossier au profit des conservateurs. Mais ces derniers ont été à leur tour menacés par les pratiques agressives de la presse britannique. Alors que depuis plusieurs années le pays est agité par une affaire d’écoutes téléphoniques de News of the World, 3 000 personnalités étant espionnées, le tabloïd du groupe News Corp. a dû finalement collaborer avec la police et communiquer certains e-mails (courriels) compromettants pour l’ensemble de la rédaction, y compris pour son ancien directeur entre 2003 et 2007, David Coulson, devenu depuis conseiller en communication de David Cameron. L’affaire a conduit à la démission de David Coulson, mais pas à un surcroît de prudence à l’égard du pluralisme des médias. En échange d’un retrait de Sky News, Jeremy Hunt a en effet autorisé l’opération News Corp.-BSkyB, contre l’avis de l’Ofcom, rendu public le 25 janvier 2011.

Les conditions de l’intégration de BSkyB au sein du groupe News Corp.

En donnant leur autorisation sans condition à l’opération News Corp.-BSkyB, le 21 décembre 2010, du seul point de vue du droit de la concurrence, les autorités européennes de concurrence ont laissé au gouvernement britannique la décision finale concernant les projets du groupe News Corp. Les autorités européennes ont certes pointé des risques concernant les accords entre BSkyB et six majors américaines pour l’accès à des films en exclusivité, alors même que News Corp. contrôle également les studios 20th Century Fox, mais elles ont considéré que la montée de News Corp. à 100 % du capital de BSkyB ne modifierait pas la situation britannique sur le marché audiovisuel, le problème relevant désormais d’une décision nationale concernant le pluralisme des médias. Sur ce point, l’Ofcom, autorité britannique de régulation, a en revanche considéré que les risques sur le pluralisme des médias sont réels, l’opération permettant à News Corp. de contrôler à terme jusqu’à 24 % du marché britannique des médias, contre 14 % actuellement. En effet, BSkyB pèse à elle seule 40 % des revenus de la télévision, loin devant la BBC ou ITV. S’ajoutent à cela les 15 % de parts de marché du groupe News Corp. dans la presse britannique, les 12 % du marché de l’information télévisée en continu avec Sky News et les 33 % de parts de marché de l’information à la radio, grâce aux bulletins revendus par Sky News aux radios commerciales. L’Ofcom a donc préconisé une saisie de l’autorité de concurrence britannique sur un risque de position dominante à l’issue de l’opération.

Pour éviter un scénario long et coûteux, News Corp. a immédiatement proposé un « remède » au ministre de la culture, Jeremy Hunt. Le remède proposé consiste simplement à se désengager de Sky News et à dissocier la chaîne du groupe News Corp. pour limiter l’emprise de ce dernier sur l’information au Royaume-Uni. L’actif est certes stratégique car Sky News compte dans le paysage audiovisuel britannique, mais il n’est pas rentable. Sky News perd en effet 40 millions d’euros par an.

Dans le dispositif proposé, Sky News sera doté d’un conseil composé d’administrateurs indépendants, le groupe News Corp. n’en conservant que 39 % du capital. La chaîne étant déficitaire, elle dépendra toujours de son principal actionnaire et financeur qui s’est engagé à en être le client fidèle. Sky News figurera encore pendant dix ans sur la plate-forme de BSkyB et pourra, pendant sept ans, utiliser la marque Sky. L’offre a suffi pour convaincre Jeremy Hunt qui, le 3 mars 2011, a donné son accord pour l’opération, une fois remplies les conditions de cession de 60,9 % du capital de Sky News et après une consultation publique. Le dossier est sensible car ce sont près de 40 000 contributions qui ont été reçues et qui incitent le gouvernement à finaliser dans le détail le dispositif juridique d’autorisation, pour éviter toute contestation en justice. Quoi qu’il en soit, les autorités britanniques de concurrence ne seront pas saisies pour étudier une possible position dominante. L’approche retenue consiste en fait à ne considérer que le poids du groupe News Corp. sur le marché télévisé avec à la fois BSkyB et Sky News, sans prendre en compte les effets de la convergence des supports et de l’offre globale de médias proposée par le groupe au Royaume-Uni, cette approche ayant été, à l’inverse, de celle retenue par l’Ofcom.

Pour le groupe News Corp., l’objectif est désormais d’organiser la séparation d’avec Sky News et de convaincre les actionnaires de BSkyB de lui céder les 60,9 % du capital qu’il ne détient pas encore, aucun accord n’étant scellé sur la valorisation du bouquet satellitaire britannique. Les négociations avec les actionnaires minoritaires de BSkyB risquent en effet d’être longues : après avoir été rejetée, l’offre initiale de News Corp. à 7,8 milliards de livres est dépassée, les tractations autour de la cession des 60,9 % de BSkyB ayant tiré à la hausse le cours en Bourse du bouquet satellitaire dont la valorisation approche désormais les 14 milliards de dollars, somme que News Corp. devra a minima débourser pour prendre la totalité du capital de BSkyB. Même très bien valorisée, l’opération est rentable. News Corp. a en effet dans ses comptes 8 milliards de dollars de liquidités non utilisées, tandis que le contrôle intégral de BSkyB permettrait au groupe d’intégrer dans ses comptes l’ensemble de ses bénéfices et de limiter la part des activités gratuites, financées par la publicité, comme la presse, qui rencontre de véritables difficultés. Le passage au payant du site du Times au Royaume-Uni illustre d’ailleurs cette stratégie de renforcement au sein du groupe des financements reposant sur le paiement, et des abonnements au détriment du modèle publicitaire. Cette stratégie, qui s’illustre avec BSkyB, se traduit également par la part désormais prépondérante des activités de télévision au sein du groupe (deux tiers du chiffre d’affaires), historiquement bâti sur ses journaux. Par ailleurs, en intégrant BSkyB, News Corp. rééquilibre ses activités géographiques au profit de l’Europe, alors que les Etats-Unis, avec le réseau et les chaînes Fox, les studios 20th Century Fox et le Wall Street Journal étaient jusqu’alors très majoritaires dans la composition du chiffre d’affaires du groupe.

A l’occasion de la prise de contrôle intégrale de BSkyB par News Corp., le groupe dirigé par James Murdoch a également réaffirmé l’importance prise par la famille au sein de la direction. En effet, James Murdoch, jusqu’alors responsable du groupe pour l’Europe et l’Asie, a été nommé PDG des activités de médias à l’échelle internationale. Par ailleurs, en rachetant en février 2011 Shine Group, la société de production détenue par sa fille Elisabeth Murdoch, Rupert Murdoch a fait en sorte que celle-ci soit en situation de siéger au conseil d’administration de News Corp.

Sources :

  • « Murdoch veut mettre la main sur 100 % des cash-flows de BSkyB », Nicolas Madelaine, Les Echos, 16 juin 2010.
  • « Sky : un obstacle de plus pour Murdoch », Cyrille Vanlerberghe, Le Figaro, 5 novembre 2010.
  • « Londres se dresse sur la route de Rupert Murdoch », Eric Albert, Jamal Henni, La Tribune, 5 novembre 2010.
  • « Rachat de BSkyB : Murdoch se met tous les médias à dos », Nicolas Madelaine, Les Echos, 11 novembre 2010.
  • « Bruxelles autorise le rachat de BSkyB par News Corp. », G.P., Les Echos, 22 décembre 2010.
  • « L’offre de News Corp. sur BSkyB probablement soumise à l’antitrust », Nicolas Madelaine, Les Echos, 17 janvier 2011.
  • « Rupert Murdoch songe à vendre Sky News pour gagner BSkyB », Eric Albert, La Tribune, 26 janvier 2011.
  • « L’affaire des écoutes éclabousse Scotland Yard », Cyrille Vanlerberghe, Le Figaro, 28 janvier 2011.
  • « Murdoch rachète à sa fille Shine Group », Les Echos, 22 février 2011.
  • « Avec BSkyB, News Corp. près de réaliser son plus gros rachat », Nicolas Madelaine, Les Echos, 4 mars 2011.
  • « Rupert Murdoch va enfin pouvoir mettre la main sur BSkyB », Eric Albert, La Tribune, 4 mars 2011.
  • « Rachat de BSkyB : Rupert Murdoch obtient le feu vert », Marc Roche, Le Monde, 5 mars 2011.
  • « James Murdoch monte dans le groupe familial », Les Echos, 31 mars 2011.
  • « Britain may not be ready to approve News Corp’s proposed $14 billion bid for BSkyB for weeks, as details regarding a spin-off of Sky News are finalized, a source familiar with the matter said », Georgina Prodhan, Reuters, May 9, 2011.
  • « GB : le gouvernement peine à boucler l’épineux dossier Murdoch – BSkyB », AFP, 30 mai 2011.
  • « BSkyB : Murdoch devra encore attendre », Rose Claverie, Le Figaro, 31 mai 2011.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici