Après amendement, le Parlement européen adopte le rapport Reda sur l’harmonisation du droit d’auteur en Europe

Le 9 juillet 2015, le rapport sur l’évaluation et la révision de la directive de 2001 sur le droit d’auteur, amendé en juin par la Commission juridique et présenté au début de l’année par l’eurodéputée Julia Reda (voir La REM n°33, p.66), a été adopté en séance plénière par le Parlement européen.

Dans sa version initiale, le rapport appelait la Commission européenne à « prendre en compte un certain nombre de mesures pour permettre aux lois qui régissent le droit d’auteur de se mettre en phase avec les réalités en perpétuelle évolution du numérique ». Le sujet intéresse largement la société civile. En atteste la participation massive – 11 000 personnes – à la consultation publique de l’Union européenne, sur la réforme du droit d’auteur et des droits voisins menée fin 2013, alors que ce type de consultation publique ne recueille en général qu’une dizaine de réponses, au plus une centaine.

Parmi les propositions initiales figuraient notamment la réduction des barrières à la réutilisation des informations issues du secteur public ou encore l’interdiction des limitations à l’exploitation du domaine public. Le rapport souhaitait également harmoniser la durée de protection des droits dans toute l’Union européenne, ou encore justifier le fait qu’un lien hypertexte n’est pas une communication au public susceptible de faire l’objet d’un droit exclusif.

Le rapport fut d’abord soumis, en juin dernier, à la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, qui l’enrichit de 556 amendements. Une version finale a été adoptée par 23 des 25 groupes politiques, seuls deux parlementaires européens de l’extrême droite française, le Front national, s’y étant opposés.

Julia Reda admet qu’« atteindre un consensus sur ce rapport a nécessité des concessions », par exemple à propos de l’amendement portant sur la liberté de panorama. Le « droit de panorama », c’est-à-dire la possibilité pour tout un chacun de diffuser des photos ou vidéos d’œuvres, surtout architecturales, visibles en permanence dans l’espace public, fut certainement le plus débattu. Cette exception au droit d’auteur existe déjà dans divers pays européens, mais pas en France, ni en Belgique, ni en Italie, ni au Luxembourg et ni en Grèce. Le rapport Reda souhaitait étendre ce droit dans toute l’Europe. Un amendement, porté par le groupe S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen), voulait rajouter que « l’usage commercial d’enregistrements et de photographies d’œuvres dans des lieux publics requiert la permission des ayants droit », rendant illégal le partage de ce type de photos sur les plates-formes commerciales comme Instagram, Facebook et Flickr, alors que bon nombre de personnes s’adonnent à la pratique du selfie. Cet amendement, d’abord adopté par la Commission des affaires juridiques en juin, a finalement été rejeté par le Parlement en séance plénière. Le Commissaire européen Günther Oettinger, quant à lui, s’est déjà prononcé sur le maintien du statu quo sur cette question.

Autre exemple, relatif cette fois au droit de citation audiovisuelle : il s’agissait d’étendre aux vidéos ce droit qui s’applique déjà aux textes. L’amendement ayant été rejeté, les « YouTubers et les podcasters [NDLR : qui empruntent des extraits d’œuvres audiovisuelles] sont hors-la-loi, et les pratiques aussi communes et répandues que les détournements en GIF resteront illégales ».

Autre concession, le rapport Reda demandait à ce que les exceptions et limitations au droit d’auteur, dont la mise en œuvre est aujourd’hui facultative au sein de chaque pays, soient rendues obligatoires pour « qu’elles puissent bénéficier au public dans des contextes transfrontières ». Dans sa version amendée, le rapport ne demande plus à ce que « toutes les exceptions soient obligatoires sur l’ensemble du territoire européen ».

Alors que le rapport initial demandait une réduction des délais de protection du droit d’auteur, « ce qui aurait résorbé l’effet « trou noir du XXe siècle«  où une large partie de notre histoire culturelle récente est devenue indisponible car elle n’est plus commercialement viable, mais est encore protégée », le Parlement européen a timidement appelé à mettre fin à l’extension des délais de protection et à éliminer les allongements nationaux à la durée de protection, comme en France par exemple, où les auteurs bénéficient d’une protection de 70 ans après leur mort, une durée prolongée pour les œuvres posthumes ou celles sous le régime des prorogations de guerre.

Dans sa version initiale, le rapport Reda demandait que « les œuvres créées par des employés gouvernementaux, de l’administration publique et des tribunaux dans le cadre de leurs fonctions officielles entrent dans le domaine public ». Par exemple, en 2014, le ministère allemand de l’intérieur a tenté de faire valoir qu’un citoyen ne pouvait publier en ligne la réponse à sa demande d’accès à l’information pour des raisons de droit d’auteur. Cette proposition n’a finalement pas été reprise dans le rapport final et les œuvres créées par des institutions publiques continueront d’être sujettes au droit d’auteur.

Cependant, Julia Reda se félicite que, pour la première fois, « le Parlement demande des normes minimales pour les droits du public, conservés précieusement dans une liste d’exceptions au droit d’auteur, dont l’application par les Etats membres a été jusqu’ici complètement facultative ».

Enfin, de nouvelles exceptions au droit d’auteur sont posées, comme « autoriser les bibliothèques et les archives à numériser leurs collections efficacement ; permettre le prêt de livres électroniques via Internet ; autoriser les analyses automatiques de grandes portions de texte et de données [NDLR : à des fins scientifiques] ».

Le 9 juillet 2015, le rapport adopté par la Commission juridique a été soumis au vote du Parlement en assemblée plénière. Sur les 542 députés présents, 445 ont voté pour, 65 contre, et 32 se sont abstenus. Selon l’organisation European Digital Rights (EDRI), « le rapport a échoué à reformer des problèmes centraux dans les droits d’auteurs » et elle déplore notamment l’absence d’harmonisation des exceptions et des limitations du droit d’auteur.

En France, les représentants des ayants droit, soutenus par le ministère de la culture sont particulièrement opposés à toute réforme du droit d’auteur et préférerait modifier la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique pour engager la responsabilité des hébergeurs et ordonner des mesures de filtrage généralisé (voir La REM n°33, p.66). Mais ce vote du Parlement européen ne constitue cependant qu’un premier pas vers une réforme du droit d’auteur, puisque le rapport Reda n’a pas de portée législative. A n’en pas douter, il expose cependant les grandes lignes de la position du Parlement sur le droit d’auteur dont devra s’inspirer la Commission européenne pour rédiger sa proposition de nouvelle directive avant la fin de l’année.

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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