Dix propositions pour moderniser la distribution de la presse

Le rapport, commandé par le ministère de l’économie et des finances et par le ministère de la culture et confié à Marc Schwartz, conseiller-maître à la Cour des comptes, et à Fabien Terraillot, ingénieur des mines, propose une réforme profonde du système de distribution de la presse en France. Ce rapport servira au projet de loi en préparation, dont le texte pourrait être déposé au Parlement avant la fin de l’année.

La distribution de la presse est régie par la loi Bichet du 2 avril 1947, qui vise à garantir, à l’égard d’une presse libre, un système de distribution à la hauteur de cette liberté. L’organisation actuelle de la distribution de la presse en France repose sur deux autorités de régulation, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), composée de vingt membres représentant les éditeurs et les acteurs de la distribution, et une autorité administrative indépendante, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), comprenant quatre membres : un conseiller d’État, un magistrat de la Cour de cassation, un magistrat de la Cour des comptes et une personnalité qualifiée, choisie en raison de ses compétences sur les questions économiques et industrielles. Les éditeurs et coopératives de presse sont affiliés aux messageries de presse, Presstalis ou MLP, qui regroupent et distribuent les journaux depuis les imprimeries jusqu’aux grossistes régionaux, les « dépositaires », qui les acheminent ensuite aux 23 217 diffuseurs de presse.

Source : rapport Schwartz.

La remise de ce rapport intervient dans un contexte de mutation de la presse, dont l’audience, dès lors qu’elle est numérique ne cesse de croître, alors que sur le support papier elle est en constante érosion. La diffusion de la presse imprimée a chuté de 40 % au cours des vingt dernières années. La vente au numéro, entre la fin des années 1990 et 2017, accuse une baisse de 55 % en volume. Le nombre de points de vente est passé de 30 000 à 23 000 sur la même période, avec une accélération des fermetures ces dernières années. De plus, la messagerie de presse Presstalis, qui assure la distribution des quotidiens et des trois quarts des magazines, se trouve en proie à des difficultés financières récurrentes depuis 2011-2012. Les divers plans de soutien et de redressement n’ont pas suffi à consolider, jusqu’à présent, l’un des maillons essentiels de la distribution actuelle de la presse. En mars 2018, Presstalis a de nouveau frôlé le dépôt de bilan ; un plan de redressement de l’exploitation de la société sur dix-huit mois, associant les éditeurs de presse / actionnaires, les créanciers et les pouvoirs publics, a pu être validé par le tribunal de commerce de Paris.

Le rapport s’attache dans un premier temps à rappeler les origines, les principes fondateurs et les acquis essentiels de la loi Bichet pour ensuite mettre en lumière leurs limites et leurs dérives actuelles. Après avoir rappelé la nature structurelle de la crise de la presse écrite, le rapport présente dix propositions portant sur la réforme de la distribution de la presse.

Avant la Seconde Guerre mondiale, la distribution de la presse était entièrement tenue par les messageries Hachette, monopole auquel voulut mettre fin, à la Libération, le Conseil national de la Résistance. Votée le 2 mars 1947, la loi Bichet « confie aux éditeurs le contrôle de toute la chaîne de distribution car la presse, redevenue libre, doit être protégée des influences politiques comme des influences économiques ». Pour garantir cette liberté de la presse, la loi repose sur les trois principes de liberté de diffusion, d’impartialité de la distribution et de solidarité coopérative. Ces apports fondamentaux méritent, selon le rapport, non seulement d’être rappelés, mais également d’être préservés, en distinguant toutefois l’esprit de la loi quant aux moyens mis en œuvre pour y arriver. Et de rappeler que la France est le seul grand pays européen à s’être doté d’une loi régissant la distribution de la presse et disposant d’instances de régulation ad hoc.

Plus de soixante-dix ans se sont écoulés depuis le vote de la loi Bichet et son interprétation au fil du temps a abouti à une « organisation rigide, organisée en trois niveaux reliés par une cascade de mandats juridiques ». Le réseau de distribution exclusivement consacré à la presse « ne permet pas d’appréhender globalement la chaîne de valeur et n’autorise ni souplesse d’organisation, ni mutualisation avec d’autres flux logistiques ». En un mot, « le système bâti au fil des décennies est caractérisé par un degré élevé de contrainte juridique et une suradministration de l’organisation ».

De plus, si le principe de solidarité et le statut coopératif ont contribué à l’émergence d’une presse diverse et plurielle, ils ont non seulement « introduit les conflits d’intérêt au cœur de la gouvernance des messageries, dont les éditeurs sont à la fois clients et actionnaires, certains d’entre eux étant par ailleurs membres des deux coopératives concurrentes », mais ils ont également entraîné une dilution des responsabilités des actionnaires / éditeurs, la gouvernance étant assurée principalement par les grands éditeurs.

Un autre apport fondamental de la loi Bichet, qui s’est progressivement transformé en un écueil, réside dans la nature des titres de presse bénéficiant du régime coopératif. En garantissant à tous les « journaux et publications périodiques » l’accès au système de distribution, on recense aujourd’hui plus de 7 500 références : 101 titres de presse dits IPG (information politique et générale) auxquels s’applique le principe constitutionnel de pluralisme ; 2 200 titres dits « commission paritaire » relevant du régime économique de la presse et bénéficiant donc d’aides indirectes de part la nature de leur contenu éditorial en lien avec l’actualité ; 1 850 titres au contenu ludique ou commercial non reconnus par la commission paritaire et enfin 3 400 produits « hors-presse » (encyclopédies, produits multimédias ou « assimilés librairie et para-papeterie »), édités par des entreprises non membres des coopératives, mais qui suivent le même circuit de distribution s’ils répondent à certains critères. La dérive d’un tel système de distribution, selon les auteurs du rapport, « est l’absence quasi totale de filtre à l’entrée, en raison du principe coopératif. […] Dès lors qu’une publication entre dans les critères, très larges, définis par le CSMP, elle accède ipso facto à la coopérative de son choix et à l’ensemble du réseau de distribution. Il en résulte une offre pléthorique et peu contrôlable ».

Enfin, une autre dérive du système provient du fait que les éditeurs sélectionnent eux-mêmes, sans concertation avec les distributeurs et les dépositaires, les points de vente où ils souhaitent être présents et imposent également la quantité d’exemplaires à mettre en vente. Cela engendre un encombrement du circuit de distribution dans son ensemble, dû parfois à des abus de certains éditeurs. Pour preuve, le taux d’invendus, en augmentation de 10 points en dix ans, est de 48 % pour Presstalis et de 61 % pour les MLP et, dans le détail, 46,5 % pour les titres dotés d’un numéro de commission paritaire contre 67 % pour les autres références (presse coopérative hors commission paritaire et hors-presse).

Or, comme le rappelle le rapport, « aucune disposition de la loi Bichet n’impose un tel fonctionnement de la filière ». Malgré une évolution de la loi en 2011, qui permet explicitement au CSMP de fixer les conditions d’assortiment des titres et de plafonnement des quantités servies aux points de vente, sa mise en œuvre n’a jamais pu avoir lieu. Il résulte de ces dysfonctionnements une « attrition continue du réseau de vente » qui rend également le métier de marchand de presse peu attrayant.

Après avoir rencontré et auditionné plus de soixante-dix personnes, le rapport présente les dix propositions suivantes :

  • Réaffirmer les principes fondateurs de la loi Bichet : la liberté de diffusion de la presse, l’adjectif « imprimée » étant supprimé pour considérer tout à la fois la diffusion papier et la diffusion numérique ; l’impartialité de la distribution, « selon des conditions transparentes, efficaces et non discriminatoires » ; l’indépendance et le pluralisme pour la presse d’information politique et générale (IPG) ; et l’instauration d’un « droit à être distribué » se substituant « à l’obligation faite aux éditeurs de se constituer en coopérative et l’exclusivité de la distribution par lesdites coopératives ».
  • Unifier et renforcer la régulation en la confiant à l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), en remplacement du CSMP et de l’ARDP, alors rebaptisée « Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ». Le collège de l’Arcep, disposant « d’une expertise juridique, économique et technique suffisante et ayant les moyens d’exercer un contrôle efficace », pourrait intégrer, lors d’un prochain renouvellement, une personnalité disposant de compétences relatives au secteur de la presse. La création d’un comité consultatif de la distribution de la presse auprès de la nouvelle autorité de régulation permettrait aux parties prenantes de s’exprimer et d’être consultées sur les décisions les concernant : éditeurs, sociétés de distribution, marchands de presse et dépositaires régionaux.
  • Instaurer pour les éditeurs de presse un « droit à être distribué » par des sociétés agréées, en remplacement du statut coopératif obligatoire, dans des conditions « transparentes, efficaces et non discriminatoires ». La mise en œuvre de ce droit à la distribution, assimilable à une obligation de contracter, serait assurée par des obligations portant sur les sociétés de distribution agréées et contrôlées par l’autorité de régulation. Les entreprises de distribution pourraient se voir imposer un cahier des charges, publié par l’autorité de régulation, qui décrirait leurs obligations en termes de traitement équitable des éditeurs, de couverture géographique ou encore des éléments constitutifs d’un barème. Cette proposition mettrait un terme à la situation actuelle faisant que les éditeurs de presse sont à la fois clients et actionnaires des messageries. Cette proposition, qui ne reprend pas le principe de solidarité coopérative tel qu’aujourd’hui défini, maintiendrait certains de ses effets, notamment le principe de péréquation financière en faveur de la distribution des quotidiens.
  • Rendre le droit d’accès à un réseau effectif en conférant au régulateur des pouvoirs d’investigation, de sanction et de règlement des différends. L’autorité de régulation serait dotée d’un pouvoir d’investigation et d’un pouvoir de sanction, afin de faire respecter les obligations des sociétés de distribution agréées. Elle pourrait intervenir lors d’un conflit entre un éditeur et une société de distribution, voire entre deux sociétés de distribution.
  • Mieux définir le champ d’application de la loi. Cette proposition vise à répondre à la question suivante : « À quels titres de presse assurerait-on le droit à être distribué, étant rappelé que les sociétés de distribution de demain, comme les messageries d’aujourd’hui, pourront, dans un cadre commercial entièrement libre, proposer leurs services à d’autres entreprises ? ». Le rapport propose de limiter le périmètre d’application de la loi aux titres de presse reconnus par la commission paritaire, c’est-à-dire ceux présentant un lien direct avec l’actualité et présentant un apport éditorial significatif, en excluant donc les autres catégories de presse, « hors commission paritaire » et « hors-presse », qui pourraient continuer à être distribués, sans toutefois bénéficier d’un droit d’accès garanti par la loi. Toutefois, cette limitation pourrait avoir des conséquences économiques puisqu’« elle conduirait à réduire l’assiette sur laquelle est calculée aujourd’hui la péréquation en faveur des quotidiens et qui est supportée par les magazines ». Le choix entre la mise en place d’un périmètre restreint ou le maintien d’un périmètre large sera laissé à l’appréciation des pouvoirs publics qui devront arbitrer entre des considérations politiques et une approche économique.
  • Une urgence : insuffler une nouvelle dynamique commerciale en allégeant les contraintes qui pèsent sur le réseau de vente. Le rapport propose de remédier à l’incapacité des points de vente à choisir les titres disponibles et les quantités livrées. « La mission estime indispensable de faire évoluer le cadre actuel afin de laisser plus de souplesse aux points de vente pour s’adapter aux besoins de leurs clients et les associer effectivement aux décisions qui les concernent au premier chef. » Il s’agit de maintenir une régulation des marchands de presse tout en allégeant les modalités de sa mise en œuvre. Plusieurs expérimentations ont déjà eu lieu, menées notamment par les groupes Relay, NAP et Mediakiosk, toutes ayant obtenu, à leur échelle, des résultats encourageants. Le rapport préconise également de revoir les conditions d’installation des nouveaux points de vente, qui relèvent pour l’heure de la commission du réseau du CSMP : faut-il instaurer une liberté totale d’installation ou une liberté encadrée qui serait définie par le régulateur et qui s’inspirerait des règles actuelles. Enfin, concernant la rémunération des diffuseurs de presse, le rapport propose de maintenir une régulation, tout en faisant varier le montant en fonction du nombre de titres mis en vente.
  • Assouplir l’organisation de la distribution sans désorganiser le réseau. Estimant que ce n’est pas le rôle du législateur d’ordonner le réseau de distribution de la presse, la mission conseille de « laisser aux acteurs la souplesse de s’organiser et de s’adapter aux évolutions de la vente de la presse au numéro » et, en cas de différend, de faire intervenir l’autorité de régulation.
  • Prévoir une transition fluide vers le nouveau système de régulation. Afin d’assurer une transition entre la situation actuelle et la mise en œuvre de la réforme, le rapport suggère une période suffisamment longue pour que chacun puisse s’adapter à ce nouveau régime de distribution de la presse.
  • Envisager l’extension de la loi à la diffusion numérique. Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), citée par le rapport, la diffusion numérique de publications complètes (version PDF) a augmenté en 2017 de 42,3 % par rapport à 2016, contre une baisse de 3,1 % pour la diffusion des éditions imprimées. En termes de lectorat, l’audience numérique est en train de dépasser la lecture de la presse papier : 53 % de lecture en presse numérique (dont 25 % sur mobile), contre 47 % sur le support papier. Si les enjeux de la liberté de diffusion de la presse en ligne et imprimée diffèrent largement en fonction du support, la mission pointe la question de l’accessibilité en ligne via les plateformes numériques (stores), les kiosques numériques et les agrégateurs de contenus. Le rapport propose donc « une obligation, pour tout service de communication au public en ligne assurant la diffusion numérique groupée de titres de presse, de diffuser les titres d’information politique et générale qui le souhaitent ».

À la suite de la publication du rapport, les rotatives des journaux quotidiens Le FigaroLe MondeLa CroixLes Echos et Le Parisien sont restées à l’arrêt le 13 septembre 2018, en raison du mouvement de grève national lancé par le Syndicat général du livre et de la communication écrite CGT (SGLCE-CGT), fortement opposé au projet de réforme. Tandis que, de son côté, le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), considérait que cette grève était « irresponsable », sans « aucune considération pour le travail de milliers de journalistes qui informent nos concitoyens » et qu’ « elle méprise le métier des diffuseurs de presse ». Pour conclure, Marc Schwartz cite les propos tenus par Bruno Lasserre, ancien président de l’Autorité de la concurrence et auteur d’un rapport intitulé « Propositions pour une réforme du Conseil supérieur des messageries de presse » publié en juillet 2009 : « l’heure n’est plus au règlement ex post de contentieux souvent stériles, qui retardent les réformes nécessaires, mais à la mise en œuvre des réformes structurelles qui permettront de répondre aux défis commerciaux, logistiques et économiques de la distribution de la presse vendue au numéro ».

Dix propositions pour moderniser la distribution de la presse, rapport au ministre de l’économie et des finances et à la ministre de la culture, Marc Schwartz, Fabien Terraillot, juin 2018.

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