Le décret du 9 février 2017 relatif aux prestations de publicité en ligne

Sont précisées les dispositions de la « loi Macron » relatives à la transparence des prestations de publicité en ligne. Ce décret prévoit notamment un dispositif permettant de lutter plus efficacement contre la fraude aux clics publicitaires.

Le cadre juridique des prestations de publicité en ligne vient enfin d’être détaillé. Celui-ci avait déjà été esquissé par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, également connue sous le nom de « loi Macron ». Cette loi avait étendu au marché de la publicité en ligne les obligations prévues par la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », notamment en ce qui concerne le respect d’un principe de transparence tarifaire dans les relations entre annonceurs, agences de publicité et supports, ainsi que l’information due aux acheteurs d’espaces (voir La rem n°36, p.13). Ces exigences, qui présidaient à l’élaboration de la loi, faisaient suite à une longue période d’opacité dans ce secteur1. De la même manière, l’absence d’encadrement des prestations de publicité en ligne, ajoutée à la crainte de certaines pratiques telles que la fraude au clic publicitaire, a fini par alerter le législateur. Cela était d’autant plus attendu que le secteur est en pleine croissance, ayant détrôné celui de la publicité télévisuelle pour la première fois en 2016 (voir infra).

L’extension de la « loi Sapin » aux prestations de publicité en ligne

Pour rappel, les articles 20 et 23 de la « loi Sapin » ont été réformés pour inclure les prestations de publicité en ligne. L’article 20 précise désormais que celle-ci s’appliquera à tout achat d’espace publicitaire, « quel qu’en soit le support ». Comme dans d’autres domaines, l’opération devra prendre la forme d’un contrat de mandat, celui-ci devant détailler les prestations et les conditions de rémunération du mandataire et les éventuels rabais accordés par le vendeur. La facture doit être communiquée à l’annonceur, l’intermédiaire ne pouvant bénéficier des avantages tarifaires que sur la base d’une stipulation expresse. L’article 23, quant à lui, établit une obligation d’information à la charge du vendeur ou du mandataire à l’égard de l’annonceur, celle-ci portant sur les conditions d’exécution de la prestation et sur les éventuels changements qui pourraient lui être apportés. Néanmoins, est renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir les conditions d’application de cet article aux prestations de publicité en ligne. C’est là l’objet du décret n° 2017-159 du 9 février 2017, qui s’appliquera dès le 1er janvier 2018.

La transparence et l’encadrement des relations entre annonceurs, agences et supports de publicité en ligne

Les précisions apportées par le décret sont nombreuses. Tout d’abord, le champ d’application de l’article 23 de la loi est défini de façon large, quoique discutable. Il inclut toutes les prestations ayant pour objet la diffusion de messages sur des terminaux connectés à internet, tels que les « ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles, téléviseurs et panneaux numériques » (art. 1). N’aurait-il pas été plus simple de viser les messages diffusés par des services de communication en ligne, quels qu’en soient les modes de consultation ? De même, il est précisé que ces dispositions ne s’appliqueront pas aux vendeurs d’espaces publicitaires établis dans un autre pays de l’Union européenne, ou dans un pays faisant partie à l’espace économique européen, s’ils y sont soumis à des obligations équivalentes par le droit national (art. 4). Les prestations ainsi visées devront toutes faire l’objet d’un compte rendu de la part du vendeur d’espaces à l’annonceur, indiquant notamment les dates et emplacements des annonces, le prix global et le prix unitaire des espaces facturés. Afin d’imposer la cohérence de la campagne, il est également prévu que les sites sur lesquels seront diffusées les publicités doivent être regroupés en fonction de leur nature ou de leurs contenus éditoriaux (art. 2).

L’idée est tout à fait logique et démontre encore l’incohérence de la référence précitée aux supports de connexion. Les mêmes contenus et services sont accessibles aux consommateurs via tous les types de terminaux existants ou à venir.

Un régime spécifique pour les campagnes les plus exposées à la fraude au clic publicitaire

Certaines campagnes sont néanmoins plus encadrées que d’autres par le décret. Tel est le cas pour celles que l’article 3 désigne comme s’appuyant « sur des méthodes d’achat de prestations en temps réel sur des espaces non garantis », incluant des mécanismes d’enchères, pour lesquelles « les critères déterminants de l’achat sont le profil de l’internaute et l’optimisation de la performance du message ».

Ces prestations sont en effet les plus propices aux faux clics, effectués par des robots, lesquels représentent autant de fausses vues qui sont quand même facturées aux annonceurs. Aussi, l’obligation d’information précitée y est spécialement renforcée, afin de garantir un parfait suivi de l’exécution de la prestation et, partant, une meilleure transparence dans la relation entre les vendeurs d’espaces, intermédiaires et annonceurs. Une liste minimale, mais non exhaustive, d’informations à fournir est ainsi prévue par le décret, qui les classe en quatre catégories, dont la dernière est facultative :

  • les informations permettant de contrôler l’exécution et les caractéristiques des prestations (sites de diffusion, contenu et format des messages, résultats et coût de la campagne) ;
  • les informations permettant de s’assurer de la qualité technique des prestations (outils employés, compétences et prestataires engagés, identification des acteurs de conseil, résultats réels par rapport aux prévisions du mandataire) ;
  • les informations relatives aux moyens mis en œuvre pour protéger l’image de la marque de l’annonceur, et notamment ceux qui visent à prévenir la diffusion de messages sur des supports illicites ou préjudiciables à cette image de marque ;
  • s’il y a lieu, les conditions de mise en œuvre des engagements relevant de codes de bonnes pratiques dans le secteur de la publicité en ligne.

Les données relatives aux résultats feront l’objet d’une attention particulière, puisqu’elles ne sont pas limitées. Le décret cite notamment le nombre de clics, d’actions ou encore les interactions entre l’internaute et l’affichage publicitaire. Enfin, l’annonceur pourra avoir directement accès aux outils de contrôle, qui peuvent être mis à la disposition du mandataire.

Une contribution indirecte à la lutte contre le streaming et le téléchargement illicites

Outre le suivi plus étroit des prestations publicitaires, on relèvera que les deux dernières séries d’informations auront aussi pour intérêt de contribuer à la lutte contre la contrefaçon en ligne.

En effet, les sites « illicites » ou « préjudiciables à l’image de marque » peuvent inclure des sites pirates. Les dispositions du décret s’articulent ici avec la charte des bonnes pratiques dans la publicité pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins, signée en mars 2015 par la ministre de la culture et de la communication avec les principales organisations du secteur (voir La rem n°34-35, p.36). Selon cette charte, les signataires pourront « établir une liste d’adresses URL de sites Internet en se référant aux informations fournies par les autorités compétentes, en utilisant éventuellement des outils technologiques, et en collaboration avec les ayants droit ». Si les annonceurs souhaitent ne pas être associés à ces services pour les raisons précitées, cela aura pour effet d’en assécher les ressources publicitaires2. C’est là une façon de consolider, sur le plan financier, la lutte contre les sites de streaming et de téléchargement illicites3.

On voit donc bien que ce décret, loin de se limiter à une approche sectorielle, relève d’une approche plus globale des services de communication en ligne.

Perspectives américaines

L’adoption du décret constitue une avancée majeure. Les préoccupations qui ont été exprimées par les professionnels français du secteur font elles-mêmes écho à leurs homologues américains (voir La rem n°40, p.86). La publication d’un rapport de l’Association des annonceurs américains, pendant l’été 2016, a également jeté l’opprobre sur les pratiques de la publicité en ligne4. Outre les fraudes au clic, le manque de transparence sur les rémunérations et l’existence supposée d’importants rabais et de rétrocommissions au bénéfice des agences ont été pointées du doigt. De même, il est souligné que certaines des plus grandes agences ont refusé de participer à l’audit ainsi mené, ce qui ne fait que renforcer les suspicions. Le sujet y est d’autant plus important que certains acteurs américains occupent en vérité une part très importante sur le marché mondial de la publicité en ligne.

Les réactions ne se sont pas fait attendre, comme en attestent les propositions de Marc Pritchard, directeur de Procter & Gamble. Cinq mesures ont ainsi été édictées pour imposer une transparence complète aux agences partenaires du premier annonceur mondial, afin que celui-ci ait la parfaite maîtrise de la chaîne de valeur. À suivre…

Sources :

  1. « Transparence et publicité », J.-J. Biolay, JCP-E, 1993, I, n° 249.
  2. « Quand les acteurs de la publicité s’invitent, au moyen d’une charte, à ne pas conclure avec les sites massivement contrefaisants », J.-M. Bruguière, PI, n° 56, juillet 2015, p. 299.
  3. « La répression du streaming et du téléchargement illicites : état des lieux et pistes de réflexion », C. Piccio, in P. Mouron et C. Piccio [Dir.], L’ordre public numérique – Libertés, propriétés, identités, PUAM, 2015, p. 87.
  4. An Independent Study of Media Transparency in the US Advertising Industry, 7 June 2016, K2 Intelligence & Association of National Advertisers.
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et rattaché au Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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