Alors que l’Europe ne parvient pas à se mettre d’accord sur la notion d’établissement stable et propose une taxe provisoire de 3 % sur les revenus issus des données, la France solde son litige fiscal avec Amazon et multiplie les plaintes contre les Gafam, au nom du droit de la concurrence.
Le 21 mars 2018, la Commission européenne a proposé l’instauration d’une taxe provisoire de 3 % sur les revenus générés par les entreprises qui exploitent les données des particuliers et dont le chiffre d’affaires mondial est d’au moins 750 millions d’euros, un moyen donc de taxer Facebook, Google ou encore Airbnb dans les territoires où ils déploient leurs activités commerciales. En effet, la plupart d’entre eux se font imposer dans les pays à la fiscalité la plus avantageuse grâce à des dispositifs d’optimisation généralement légaux (voir La rem n°33, p.12). Envisager une taxe provisoire signifie tout simplement que la Commission européenne ne croit pas à un accord rapide à l’OCDE ou au sein de l’Union sur la définition de la « présence digitale » des firmes, un moyen de taxer les bénéfices dans les pays où ils sont réalisés, quand prévaut pour l’instant la notion juridique d’établissement stable, inadaptée à l’environnement numérique. D’ailleurs, les pays qui abusent du dumping fiscal ne s’y trompent pas : la réunion, le 28 avril 2018, des ministres européens des finances s’est soldée par une opposition au projet de taxe à 3 %, avec en première ligne l’Irlande, le Luxembourg, Malte et la République tchèque, des pays qui préfèrent attendre la décision de l’OCDE et, pendant ce temps, bénéficier des pratiques assurément contestables des multinationales.
En effet, c’est bien l’absence de localisation des bénéfices qui sert de levier aux pratiques d’optimisation fiscale, comme a pu le constater le fisc français qui, après avoir adressé à Google un redressement fiscal de 1,115 milliard d’euros, a vu sa décision annulée par le tribunal administratif de Paris le 12 juillet 2017 (voir La rem n°44, p.19). Sauf qu’il y a urgence car la réforme fiscale américaine portée par Donald Trump permet désormais le rapatriement massif des bénéfices des Gafam aux États-Unis (voir La rem n°45, p.9) et instaure un nouveau rapport de force qui laisse peu d’espoir à l’Union européenne d’imposer ses vues au sein de l’OCDE.
Sans surprise, les pays qui militent le plus ardemment pour une adaptation de la fiscalité européenne aux enjeux du numérique sont ceux qui se mobilisent aussi au niveau national. C’est le cas de la France qui vient de régler ses litiges fiscaux avec Amazon et qui a lancé une procédure en justice contre Apple et Google.
En 2012, le fisc français avait adressé un redressement fiscal à Amazon concernant les années 2006-2010, le montant exigé – à savoir les impôts non perçus et les arriérés – étant estimé à 200 millions d’euros. Mais les déconvenues du fisc français face à Google ont probablement changé la donne et incité les services de Bercy à être moins intransigeants. De son côté, Amazon a depuis 2015 décidé de localiser son chiffre d’affaires et ses profits dans les pays où il exerce son activité, décision qui témoigne de sa volonté de sortir par le haut du bras de fer fiscal que l’Europe et plusieurs pays ont engagé avec le géant du e-commerce (voir La rem n°38-39, p.20). Ainsi, après avoir trouvé un accord avec le fisc italien en décembre 2017, Amazon s’est mis d’accord avec le fisc français le 5 février 2018, ce qui a clos les litiges. Le montant du règlement fiscal n’est pas connu.
L’accord entre Amazon et le fisc ne met pas fin pour autant aux poursuites relatives au droit de la concurrence. Le Parisien du 18 décembre 2017 a ainsi révélé que le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, avait assigné Amazon devant le tribunal de commerce de Paris, à la suite d’une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il est reproché à Amazon d’imposer un rapport déséquilibré avec ses vendeurs pour ses activités de place de marché, ce dont attestent certaines clauses jugées abusives par la DGGCCRF. Bercy réclame une amende de 10 millions d’euros.
Le 14 mars 2018, Bruno Le Maire a récidivé en annonçant avoir assigné en justice Google et Apple pour « pratiques commerciales abusives », là encore après une enquête de la DGGCCRF qui a mis en lumière l’existence d’un « déséquilibre significatif » entre, d’une part, les places de marché sur smartphone des deux acteurs, l’AppStore et Google Play et, d’autre part, les développeurs d’applications. Ces derniers se voient imposer unilatéralement des paliers tarifaires pour la facturation de leurs applications et doivent communiquer les informations liées à leurs utilisateurs sans réciprocité de la part des plateformes. Si Google et Apple sont reconnus coupables, ils devront payer chacun une amende de 2 millions d’euros.
Sources :
- « Pourquoi Bercy assigne Amazon en justice », Aurélie Lebelle, leparisien.fr, 18 décembre 2017.
- « Amazon conclut un accord avec le fisc français », Elsa Dicharry, Philippe Bertrand, Les Echos, 6 février 2018.
- « Amazon solde son litige avec le fisc », Keren Lentschner, Le Figaro, 6 février 2018.
- « L’État a assigné Google et Apple en justice », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 15 mars 2018.
- « Bruno Le Maire cible Apple et Google », Elsa Bembaron, Le Figaro, 15 mars 2018.
- « L’Europe lance son offensive fiscale contre les géants du numérique », Derek Perrotte, Les Echos, 22 mars 2018.
- « Taxation des Gafa, Grèce : l’Eurogroupe à la recherche de compromis sur les dossiers chauds », Catherine Chatignoux, Derek Perotte, Les Echos, 27 avril 2018.
- « L’Europe divisée sur la taxation des Gafa défendue par la France », A.G., Le Figaro, 30 avril 2018.
- « Taxation des Gafa : la colère française face aux réticences européennes », Gabriel Grésillon, Les Echos, 30 avril 2018.