Le tribunal de grande instance de Paris a une nouvelle fois qualifié en contrats de consommation les CGU de deux réseaux sociaux, en l’occurrence Google+ et Facebook, ce qui le conduit à annuler un certain nombre de clauses illicites et/ou abusives.
« The future is private »
Marck Zuckerberg a présenté le nouveau slogan du réseau social Facebook le 30 avril dernier, lors de sa conférence annuelle F8 destinée aux développeurs. De nouvelles fonctionnalités et exigences semblent désormais à l’ordre du jour, l’idée étant de renforcer le respect de la vie privée des utilisateurs, la sécurité des échanges par messagerie ainsi que de rechercher une gestion plus responsable et transparente des données personnelles. Ces annonces interviennent bien sûr dans un contexte bien spécifique. En effet, la Federal Trade Commission pourrait infliger une amende de 3 à 5 milliards de dollars pour non-respect de ces obligations en termes de transparence dans l’utilisation publicitaire des données personnelles. Aussi, la FTC négocie actuellement avec Facebook la création d’un comité indépendant chargé de faire respecter, à l’avenir, ces obligations au sein de l’entreprise1. De plus, une enquête a également été ouverte par la procureure de l’État de New York à la suite du téléchargement « involontaire » (selon les dires de Facebook) de carnets d’adresses électroniques de près d’un million et demi d’utilisateurs2. Enfin, les conséquences du scandale Cambridge Analytica (voir La rem, n°48, p.90) ont également éveillé l’attention du commissariat canadien à la protection de la vie privée, qui entend saisir la Cour suprême afin de contraindre le réseau social à se mettre en conformité avec les lois protectrices de la vie privée3.
Pour les mêmes raisons, la pression sur les réseaux sociaux s’accentue également du côté européen, l’entrée en vigueur du RGPD ayant accéléré le phénomène. Le commissaire irlandais à la protection des données s’est ainsi inquiété du stockage en clair de mots de passe d’utilisateurs de Facebook sur des serveurs internes à l’entreprise et a engagé une enquête sur ces pratiques4. En Allemagne, l’Office fédéral de lutte contre les cartels a enjoint à Facebook de cesser la collecte de données provenant d’applications tierces sans recueillir préalablement le consentement explicite des utilisateurs. L’acceptation des conditions générales d’utilisation n’est pas suffisante pour procéder au traitement de ces données, notamment à des fins publicitaires. La qualification et la portée des CGU appliquées par les réseaux sociaux comme Facebook sont ainsi au cœur des problématiques, tant sur le terrain du droit des données personnelles que du droit de la concurrence.
Elles intéressent également le droit de la consommation, ce que les juridictions judiciaires n’ont pas manqué de rappeler à plusieurs reprises ces derniers mois.
La qualification des CGU de Google + et Facebook en contrat de consommation
Récemment, le tribunal de grande instance de Paris a ainsi qualifié de contrats de consommation les CGU des réseaux sociaux Facebook et Google+, dans deux jugements en date du 12 février5 et du 9 avril 20196, ce qui l’a conduit à l’annulation de plusieurs clauses de ces conditions. Les deux actions avaient été engagées par l’association de défense des consommateurs UFC Que Choisir.
En se fondant sur l’article 1107 du code civil, les juges ont établi le caractère onéreux desdites conditions d’utilisation, lequel découle bien sûr de l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Celles-ci sont collectées et traitées de façon continue et systématique pour leur proposer des publicités ciblées. La cession de ces informations à des entreprises partenaires générant des revenus au profit des réseaux sociaux, ceux-ci en tirent bien un avantage économique, ce qui fait d’eux des professionnels au sens du code de la consommation. Il importe peu que le service proposé aux utilisateurs soit gratuit. Au contraire, on sait que l’exploitation publicitaire des données constitue la contrepartie de cette gratuité, qui n’est donc qu’apparente. Le tribunal n’a pas manqué de relever certaines formulations explicites dans les CGU de Facebook, confirmant cette qualification. Ainsi en est-il de celle par laquelle l’utilisateur autorise le réseau social à percevoir une rémunération de la part d’une autre entreprise « pour afficher votre nom et/ou la photo de votre profil avec votre contenu ou vos informations, sans vous verser de dédommagement ».
Le caractère onéreux est ainsi dégagé au regard de la seule qualité des parties, et non de son objet. Ce fut le raisonnement aussi bien de la Commission des clauses abusives7 que de l’Autorité de la concurrence8, s’agissant spécifiquement des réseaux sociaux. Le tribunal n’a pas manqué de rappeler, dans le premier jugement, le caractère strictement consultatif du premier de ces documents, qui était contesté par Google. De plus, la solution n’est pas novatrice. La qualification de contrat de consommation avait déjà été retenue à l’égard des CGU du réseau Twitter dans un précédent jugement (voir La rem n°48, p.26). Les deux décisions ici commentées confortent donc une jurisprudence protectrice des utilisateurs de ces services. On rappellera également que l’Autorité de la concurrence italienne avait retenu le même raisonnement pour infliger à Facebook une amende de 10 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses (voir La rem, n° 49, p.19).
Enfin, le tribunal a également confirmé l’application de la loi du 6 janvier 1978 aux CGU des deux réseaux sociaux, ce qui conduit à une application combinée des deux textes.
L’annulation des clauses abusives et/ou illicites des CGU de Google+ et Facebook
En application du code de la consommation et de la loi « Informatique, fichiers et libertés », le tribunal de grande instance est amené à annuler 209 clauses des CGU de Google+ et 430 des CGU de Facebook, principalement en raison de leur manque de clarté quant au sort des données personnelles collectées à des fins publicitaires.
Elles sont sanctionnées au visa des articles L 111-1, L 211-1 et L 212-1 du code de la consommation, relatifs respectivement à l’obligation de clarté des clauses, à la nécessité de délivrer une information précontractuelle au consommateur et à l’interdiction des clauses impliquant un déséquilibre significatif entre les parties. Le tribunal sanctionne par exemple le caractère trop vague des finalités de collecte, celle notamment « d’amélioration des services », alors que le but premier consiste à envoyer des publicités ciblées aux utilisateurs. De même, le caractère évasif de certaines clauses, employant des termes tels que « notamment », « telles que » ou « par exemple » est également considéré comme abusif, dès lors que ces clauses sous-entendent l’existence d’autres finalités ou informations qui ne sont pas connues des consommateurs. Le côté dissuasif de certaines clauses est également considéré comme contraire à l’exercice libre et éclairé des droits des utilisateurs sur leurs données personnelles. Tel est le cas des clauses subordonnant l’exercice du droit d’opposition à des procédures complexes et peu lisibles, ou bien qui avertissent l’utilisateur sur les inconvénients auxquels il s’expose en cas de refus de traitement. S’agissant précisément de la collecte de cookies par les services de Google+, le tribunal estime qu’une telle clause « procède d’une forme de droit frustratoire pour le consommateur dans la mesure où elle lui reconnaît le libre exercice d’un droit de blocage sur l’emploi de cookies tout en le mettant fortement en garde, à des fins manifestement dissuasives d’exercice de ce droit, contre des risques de dysfonctionnements de ses équipements personnels ». On rappellera également que certaines clauses sont annulées pour non-respect du code de la propriété intellectuelle. Ainsi en est-il des clauses conférant aux réseaux sociaux une licence d’utilisation mondiale et gratuite sur les contenus générés par les utilisateurs, et qui sont contraires à l’article L 131-3 dudit code.
Les deux jugements ont bénéficié d’une certaine médiatisation dans le contexte précité, bien qu’ils portent sur des versions anciennes des CGU. Celles-ci ont été revues depuis et le réseau Facebook s’est engagé à publier de nouvelles clauses plus transparentes quant à l’utilisation commerciale des données de ses utilisateurs.
Sources :
- « Facebook Set to Create Privacy Positions as Part of F.T.C. Settlement », C. Kang, The New York Times, May 1, 2019.
- « New York Attorney General to Investigate Facebook Email Collection », M. Isaac, The New York Times, April 25, 2019.
- Communiqué : « Facebook refuse de remédier à des lacunes graves en matière de protection de la vie privée malgré s’être excusé publiquement d’avoir commis un « abus de confiance » », Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, 25 avril 2019.
- Communiqué : « Data Protection Commission opens statutory inquiry into Facebook », Data Protection Commission, April 25th, 2019.
- « Condamnation de Google pour 38 clauses abusives et illicites figurant dans les conditions d’utilisation et les règles de confidentialité de son réseau social Google + », S. Bernheim-Desvaux, Contrats, conc. consom., avril 2019, comm. n° 77.
- « Condamnation de Facebook pour 430 clauses abusives et illicites figurant dans les conditions générales d’utilisation du réseau social », S. Bernheim-Desvaux, Contrats, conc. consom., juin 2019, comm. n° 113.
- Recommandation n°14-02 du 7 novembre 2014, Contrats de fourniture de services de réseaux sociaux, § III-A.
- Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet.