Loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée
Par la loi du 20 décembre 2011, ont été modifiées diverses dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives à la « rémunération pour copie privée ». Son régime est distinct du système normal de cession, moyennant rémunération, des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins), comme des exceptions véritables, déterminées par la loi (articles L. 122-5 et L. 211-3 CPI), qui permettent un usage libre et gratuit des œuvres et des prestations protégées. Pour atténuer l’impact de l’usage des techniques modernes de reproduction (facilité, rapidité, qualité équivalente à celle du support d’origine…), on a ici affaire à un régime dit « de licence légale » (comportant une autorisation accompagnée d’un droit à compensation partielle, l’une et l’autre étant déterminées par les autorités publiques et non pas librement négociées). De plus, celui-ci doit être considéré dans son environnement international et, notamment, européen.
Au profit des titulaires de droits, dépossédés de la rémunération à laquelle ils auraient pu prétendre et qu’ils auraient normalement été amenés à négocier en cas d’exploitation commerciale de leurs créations et productions, a été instituée, en 1985, en France, une compensation financière au moins partielle des effets des copies ainsi faites sur différents supports audiovisuels et aujourd’hui sur tous types de supports numériques permettant de telles reproductions (CD et DVD vierges, disques durs d’ordinateur, clés USB, cartes mémoire…). Une part des sommes prélevées sur leur prix de vente sert par ailleurs au financement d’activités culturelles.
En cette matière également, les droits reconnus aux uns se heurtent à l’opposition de ceux qui doivent en supporter la charge et qui souhaiteraient en être dispensés. Les limites qui y sont apportées apparaissent excessives à certains et insuffisantes à d’autres.
Pour les pouvoirs publics, il s’agissait, par la loi nouvelle, de tenir compte de plusieurs arrêts du Conseil d’Etat statuant sur des décisions, de la commission administrative prévue par l’article L. 311-5 CPI. Dans la mise en œuvre de la rémunération pour copie privée, celle-ci est chargée de déterminer « les types de supports, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci ».
Dans un arrêt du 11 juillet 2008, Syndicat de l’industrie de matériels audiovisuels électroniques (SIMAVELEC), le Conseil d’Etat a posé que « la détermination de la rémunération pour copie privée ne peut prendre en considération que les copies licites réalisées dans les conditions prévues par les articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle précités, et notamment les copies réalisées à partir d’une source acquise licitement ». C’est cette première précision d’une copie réalisée « à partir d’une source licite » qui est introduite dans les articles du CPI concernés. Les copies réalisées à partir d’une source illicite ne peuvent pas prétendre au bénéfice de ce régime d’exception. Elles sont constitutives de contrefaçons. Est ainsi mis un terme à certaines hésitations ou contradictions jurisprudentielles et doctrinales.
Dans un arrêt du 17 juin 2011, Société Canal+ Distribution, le Conseil d’Etat a considéré que la décision de la commission susmentionnée soumet- tant à rémunération pour copie privée l’ensemble des supports, « sans prévoir la possibilité d’exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée […] a méconnu les dispositions » du code de la propriété intellectuelle. En conséquence, il a été ajouté, à l’article L. 311-8 dudit code, que « I. la rémunération pour copie privée n’est pas due lorsque support d’enregistrement est acquis pour leur propre usage ou production par : 1° les entreprises de communication audiovisuelle ; 2° les producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes et les personnes qui assurent, pour le compte des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, la reproduction de ceux-ci ; 2° bis les éditeurs d’œuvres publiées sur supports numériques ; 3° les personnes morales ou organismes, dont la liste est arrêtée par le ministre chargé de la culture, qui utilisent les supports d’enregistrement à des fins d’aide aux handicapés visuels ou auditifs ». Il est posé qu’elle « n’est pas due non plus pour les supports d’enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée ».
Un certain équilibre doit ainsi être assuré entre les droits des auteurs et des titulaires de droits voisins, d’une part, bénéficiaires de cette compensation financière et, d’autre part, ceux qui acquièrent des supports d’enregistrement pour des utilisations autres que la réalisation de copies à usage privé et auxquels il n’était évidemment pas justifié d’imposer une quelconque charge à cet égard.
Sur cette question de la rémunération pour copie privée, le droit français doit également être considéré dans son environnement international et européen.
En son article 5, la directive 2001/29/CE, du 22 mai 2001, « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » ouvre la possibilité aux Etats membres « de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction », notamment « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tous supports par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable ».
Saisie d’une « demande de décision préjudicielle », par une juridiction espagnole, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), dans un arrêt du 21 octobre 2010, Padawan c. Sociedad General de Autores y Editores de Espana (SGAE), considère que la notion de « compensation équitable », au sens des dispositions de la directive susmentionnée, « doit être interprétée de manière uniforme dans tous les Etats membres ayant introduit une exception de copie privée, indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci de déterminer […] la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de cette compensation équitable ». Elle ajoute que « le « juste équilibre » à trouver entre les personnes concernées implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des œuvres protégées ».
Ainsi déterminé, et avec les précisions introduites par la loi du 20 décembre 2011, le système français de rémunération pour copie privée n’échappe pour- tant pas à la contestation, notamment de la part de ceux qui produisent et commercialisent toutes sortes de supports de reproduction. Ils critiquent notamment le taux de la somme prélevée en compensation des copies susceptibles d’être ainsi réalisées. Beaucoup plus élevé que dans nombre de pays voisins, celui-ci introduirait ainsi une distorsion de concurrence. Il faut sans doute s’attendre, en l’occurrence, à de nouvelles décisions des juridictions tant nationales qu’européenne, suivies d’autres réformes législatives.
Sources :
- Rapport fait au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée, M-H. Thoraval, Assemblée nationale, n° 3953, assemblee-nationale.fr, 16 novembre 2011.
- Rapport fait au nom de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée, A. Gattolin, Sénat, n° 192, 109 p. senat.fr, 14 décembre 2011.
- « Une nouvelle loi sur la copie privée », E. Berretta, lepoint.fr, 20 décembre 2011.
- « La modification de la législation sur la copie privée publiée au Journal officiel », lemonde.fr, 21 décembre 2011.
- « Copie privée : changeons le système sans spolier les ayants droit ni la culture ! », P. Jacquemin, lemonde.fr, 23 décembre 2011.
- « Rémunération pour copie privée : apports de la loi nouvelle », Ch. Caron, JCP G, 37, 2012.