En réitérant la proposition d’insertion d’un nouvel article L. 3323-3-1 dans le code de la santé publique, la récente loi de modernisation de notre système de santé a remis au goût du jour le débat sur la publicité à l’égard de l’alcool qui déjà avait eu lieu au premier semestre de l’année 2015. Loin d’apporter des éléments de clarification entre ce qui relève de la publicité ou de l’information sur les produits alcooliques, ce nouveau texte apparaît, in fine, comme un simple outil d’assouplissement des dispositions de la « loi Évin ».
Initialement prévu par la « loi Macron » et déclaré non conforme à la Constitution pour des raisons de procédure parlementaire (voir La REM n°36, p.14), le projet d’insertion d’un nouvel article L. 3323-3-1 dans le code de la santé publique a trouvé, dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, le parfait cheval de Troie lui permettant de revenir sur le devant de la scène.
En effet, la décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 avait déclaré la disposition en cause contraire à la Constitution en ce qu’elle ne présentait « pas de lien même indirect » avec le projet de « loi Macron ». Désormais inséré dans un projet de loi relatif à la santé, l’article en question est donc en lien direct avec l’objet du texte législatif qui l’abrite.
Définitivement adoptée le 17 décembre 2015, la loi de modernisation de notre système de santé insère, dans le code de la santé publique, ce nouvel article L. 3323-3-1, le Conseil constitutionnel, qui a censuré quatre articles de la loi dans sa décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, n’étant pas appelé à se prononcer sur la conformité de la disposition en question1.
Faisant suite à l’article L. 3323-3 du code de la santé publique, le nouvel article L. 3323-3-1 énonce désormais que « ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande, au sens du présent chapitre, les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir-faire, à l’histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine, ou protégée au titre de l’article L. 665-6 du code rural et de la pêche maritime ».
Cet inventaire à la Prévert, en ce qu’il assouplit les dispositions antérieures issues de la « loi Évin », n’offre toutefois aucun élément de clarification entre les notions de publicité et d’information sur une boisson alcoolique.
Une absence de clarification entre publicité et information sur une boisson alcoolique
La « loi Évin » n’a aucunement indiqué ce qu’elle entendait par publicité ; c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 3 novembre 2004, a énoncé qu’« on entend par publicité illicite au sens des articles L. 3323-2, L. 3323-3 et L. 3351-7 du code de la santé publique, tout acte ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique sans satisfaire aux exigences de l’article L. 3323-4 du même code »2.
En effet, selon le premier alinéa de ce texte, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ».
Même s’il vise expressément « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques », cet article s’attache plutôt à dresser une liste d’informations objectives sur le produit pouvant être licitement mentionnées dans un encart publicitaire. Dans le langage courant, le terme « publicité » renvoie davantage à une idée de subjectivité, alors que le terme « information » est normalement lié à un critère d’objectivité.
Il n’en est rien dans le code de la santé publique. La publicité pour l’alcool est une information, tantôt licite car objective, tantôt illicite car subjective. Le juge doit donc évaluer au cas par cas ce qui relève de la publicité illicite lorsque l’information subjective inciterait à la consommation d’alcool, et ce qui relève de la publicité autorisée lorsque l’information est objective et ne fait qu’énoncer des caractéristiques liées à la boisson alcoolique visée. Les mentions ne doivent être que de « simples indications » n’outrepassant pas « les limites de l’objectivité »3, l’article L. 3323-4 du code de la santé publique ayant dressé une liste strictement limitative des mentions autorisées4.
Le nouvel article L. 3323-3-1 du code de la santé publique dresse, quant à lui, une nouvelle liste de ce qui n’est désormais plus considéré comme une publicité ou une propagande pour l’alcool. Or, il aurait semblé judicieux que soit précisé ce qui n’est désormais plus considéré comme une publicité indirecte ou illicite à l’égard de l’alcool, le terme « publicité » désignant, au sens du code de la santé publique, toute forme d’information, qu’elle soit illicite ou autorisée.
On est donc a priori dans une situation de confusion entre ce qui relève de la publicité et de l’information. Il eût été souhaitable que le nouvel article L. 3323-3-1 du code de la santé publique établisse une nette distinction entre ces deux notions. Or la présente disposition se borne à restreindre l’étendue du champ de la publicité illicite en faveur de l’alcool, sans davantage de précisions, assouplissant de nouveau les interdits posés par la « loi Évin ».
Un considérable bouleversement de la « loi Évin » dans le sens d’un assouplissement
Les dispositions de la « loi Évin » du 10 janvier 1991 concernant la publicité pour l’alcool avaient déjà été remises en cause par la « loi HPST » du 21 juillet 2009, laquelle a autorisé via l’article L. 3323-2 du code de la santé publique, la publicité pour l’alcool sur internet, à l’exclusion des sites destinés à la jeunesse ou aux sports5.
Il s’agissait là d’une révision portant sur la nature des supports médiatiques autorisés à accueillir une publicité licite pour l’alcool, telle qu’entendue par les dispositions des articles L. 3323-2, L. 3323-3 et L. 3351-7 du code de la santé publique.
Or la présente loi de modernisation de notre système de santé n’a pas pour finalité d’autoriser des médias de nature nouvelle à diffuser une publicité pour l’alcool ; elle vise a contrario à ouvrir la liste des mentions licites à des informations de nature nouvelle.
Le nouvel article L. 3323-3-1 du code de la santé publique est, en réalité, davantage un complément de l’article L. 3323-4 du même code que de l’article L. 3323-3 à la suite duquel il est inséré. En effet, en dressant une liste de ce qui n’est pas considéré comme une publicité indirecte pour l’alcool, ce nouveau texte complète – en l’allongeant – la liste des mentions déjà autorisées par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique.
Outre les mentions désignées par cette dernière disposition, comprenant notamment l’indication du degré alcoolique ou l’origine du produit, sont désormais licites en vertu de l’article L. 3323-3-1 des mentions telles que, par exemple, des « commentaires […] relatifs à une région de production ».
Il convient de souligner que si la liste des mentions autorisées de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique vise des indications objectives précises, il n’en est pas de même, s’agissant du nouvel article L. 3323-3-1, lequel fait l’inventaire de mentions nouvellement licites, mais dont la précision est très relative.
Notons à titre d’exemple que l’article L. 3323-3-1 énonce désormais qu’une « image relative à une région de production » ne peut être considérée comme une publicité ou une propagande pour l’alcool. Toutefois, la licéité d’un tel contenu est évidemment fonction de ce qui est représenté sur l’image en question, ainsi que de la nature du message transmis. Si le message incite, même indirectement, à la consommation d’alcool, doit-on malgré tout considérer la publicité comme étant licite ? Nous ne pouvons valablement le penser, au risque de vider de sa substance tout l’arsenal normatif limitant la publicité pour la consommation d’alcool.
S’il permet un pas vers davantage de tolérance, le nouvel article L. 3323-3-1 du code de la santé publique est en revanche exempt de toute forme de précision eu égard à l’appréciation de la ligne de partage entre mention licite et mention illicite d’une publicité pour l’alcool. Bien au contraire, la construction grammaticale de ce texte permet d’entrevoir une arborescence très extensive de la liste de ce qui est désormais permis en matière de publicité pour l’alcool.
Quant à la référence finale au « patrimoine culturel », celle-ci n’est aucunement surprenante eu égard à l’actuelle « inflation du patrimoine »6 qui tend à protéger sous l’égide de cette notion aux « significations variables »7 de nombreuses « res communis ». Le « repas gastronomique des Français » a bien été inscrit en 2010 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
L’article L. 665-6 du code rural et de la pêche maritime, cité par le nouvel article L. 3323-3-1 du code de la santé publique, prévoit que « le vin, produit de la vigne, les terroirs viticoles ainsi que les cidres et poirés, les boissons spiritueuses et les bières issus des traditions locales font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France ». La question qui se pose désormais est de savoir ce qui, de la protection de la santé publique ou de la promotion du patrimoine culturel, doit être privilégié dans le cadre d’une publicité pour l’alcool ? La réponse sera immanquablement donnée, prochainement, par le juge.
Sources :
- Le nouvel article L. 3323-3-1 du code de la santé publique a été intégré à la loi par un amendement de l’opposition. Il est donc logique que les parlementaires, qui ont saisi le Conseil constitutionnel sur la conformité de la présente loi, étant dans l’opposition, n’aient pas demandé une analyse de la constitutionnalité de l’article en cause.
- Cass. crim., 3 novembre 2004, n° 04-81123, Bull. crim., n° 268.
- Cass. 1re civ., 20 octobre 2011, n° 10-23509, Bull. civ. I, n° 172.
- Cass. crim., 29 novembre 2005, n° 05-81198, Bull. crim., n° 312.
- Droit de la santé, Anne Laude, Bertrand Mathieu et Didier Tabuteau, coll. « Thémis droit », n° 22, p. 25, éd. PUF, 3e éd., 2012.
- « Le patrimoine. Existences multiples. Essence unique ? », Jean-Michel Bruguière et Agnès Maffre-Baugé, Droit et patrimoine, n° 133, p. 64, 2005.
- Droit de l’environnement, Agathe Van Lang, coll. « Thémis droit », n° 213, p. 183, éd. PUF, 3e éd., 2011.