Comment le numérique rend technophiles les métiers des médias et de la culture

En révolutionnant les modes de création, de production et de distribution, les technologies numériques imposent des compétences professionnelles « élevées et renforcées », selon une étude de l’Apec qui offre une vision « côté métiers » du secteur des médias et de la culture.

En décembre 2015, l’Apec a publié un référentiel des métiers cadres de la culture et des médias : l’audiovisuel et la production cinématographique, la presse imprimée et en ligne, l’édition du livre, l’édition phonographique et le spectacle vivant. Dans son étude, l’Apec livre une synthèse relative aux évolutions technologiques, sociales, réglementaires et économiques dans le secteur de la culture et des médias, donnant la mesure des enjeux auxquels sont confrontés les professionnels, quant à la transformation des métiers.
Etabli en association avec l’Afdas, à partir de l’analyse des offres d’emploi, d’entretiens avec des recruteurs, des directeurs des ressources humaines et des cadres, ce document fournit un descriptif de dix-huit métiers. Pour chacun sont indiqués les activités principales et leur variabilité selon les entreprises, le contexte d’évolution, les compétences techniques et aptitudes professionnelles requises, les formations, ainsi que le témoignage d’un professionnel en poste.

Sur le plan des évolutions technologiques, les deux facteurs clés sont, d’une part, « la numérisation de la culture » et, d’autre part, « la multiplication des supports et acteurs de diffusion de la culture ». A l’instar de toutes les activités quotidiennes, le numérique a considérablement modifié les procédés de création vidéo, audiovisuelle ou cinématographique. Toutes les étapes de production d’une œuvre visuelle (story-board, tournage, post-production et animation) sont concernées. Il en va de même pour la consommation des biens culturels en général, puisqu’un film, un livre, un article, un morceau de musique, un spectacle peut être vu, lu ou écouté sur un terminal numérique.

En traduisant les œuvres en fichier informatique, la dématérialisation a provoqué une réorganisation de leurs modes de production et d’édition autour des contenus numériques et de leurs usages. La diversité des terminaux (ordinateur, smartphone, tablette) et la multiplication des acteurs de diffusion (chaînes de télévision, sites web, applications diverses) ont modifié les méthodes de travail, tant dans leur organisation que par les nouveaux outils utilisés : formation des équipes, collaboration entre les métiers, création multicanale, diffusion multisupport…

Les évolutions d’ordre social, quant à elles, se traduisent principalement par « une consommation culturelle intensifiée mais plus disparate » et par « un lecteur/spectateur de plus en plus exigeant et impliqué ». La diversité accrue des pratiques culturelles due à la multiplication des terminaux connectés et des services affiliés (télévision connectée, télévision de rattrapage, streaming, téléchargements, abonnements…) a favorisé l’émergence d’une culture de l’écran qui s’accompagne d’une consommation « de plus en plus asynchrone (sans temporalité précise ni consacrée) et délinéarisée (en multipliant les sources) ».

Cet éparpillement de l’audience, de plus en plus mobile et volatile, influe sur les modes de production et de distribution des contenus culturels. Les technologies numériques ont permis une accélération sans précédent de la vitesse de circulation de l’information et des biens culturels en général : « Quel que soit le domaine, les temporalités se réduisent, ce qui implique de nouvelles techniques de collecte, de production et de diffusion de contenus pour les acteurs des médias et de la culture. » En outre, le spectateur est devenu un consommateur actif, dans la création par le biais de l’autoproduction ou du crowdsourcing, dans la production avec le financement participatif ou les œuvres interactives et dans la diffusion ou la critique, obligeant ainsi les professionnels à revoir leurs méthodes.

Les évolutions réglementaires concernent principalement « la question des droits d’auteur sur internet ». Face aux infractions au droit de la propriété littéraire et artistique facilitées par la diffusion rapide des reproductions sur internet, l’embauche de juristes spécialisés se généralise au sein des entreprises d’édition de biens culturels. « On constate cependant que les multiples évolutions technologiques et sociétales propres à la culture vont souvent plus vite encore que les réponses juridiques dans ce domaine (exemple du streaming). »

Enfin, les évolutions économiques se traduisent par le poids de « la culture créatrice de valeur » dans la richesse nationale, équivalant à celui de l’agriculture et des industries alimentaires (58 milliards d’euros en 2011). Cependant, sur ce marché de la culture et des médias, l’émergence de nouveaux entrants nés de l’internet (les GAFA) entraîne « une reconfiguration nécessaire de l’écosystème médiatique ». Les médias traditionnels sont contraints de « diversifier leurs supports et leur présence sur internet, impliquant des réorganisations, l’acquisition de nouvelles compétences, pour être en mesure de proposer une offre culturelle adaptée ». En ce qui concerne les secteurs du spectacle vivant et la gestion du patrimoine culturel, la baisse des budgets publics les conduit à rechercher activement de nouvelles sources de financement, notamment grâce à de multiples formes de mécénat et par des partenariats avec le secteur privé (incitations fiscales, crowdfunding, événementiel, privatisation des lieux, etc.).

Ces évolutions diverses entraînent une redéfinition des savoir-faire professionnels. Ainsi, comme le résume l’Apec : « Dans un contexte de profondes mutations du secteur de la culture et des médias, les métiers et les compétences évoluent et continueront à évoluer dans les années à venir. Certains métiers se recomposent, d’autres s’enrichissent, de nouveaux se créent, mais tous nécessitent des compétences élevées et renforcées. »

• « Créer, produire et diffuser en numérique » : tous les professionnels – créateurs, producteurs et diffuseurs – ont recours aux technologies numériques. Au sein des entreprises, la collaboration avec la direction des systèmes informatiques est requise. Dans certains secteurs, notamment celui de l’information, le défi est double, avec le maintien des circuits de production et de diffusion traditionnels parallèlement à une adaptation des contenus aux nouveaux modes de consommation (interactivité, personnalisation…).

• « Maîtriser un matériel technique numérique de pointe » : les professions les plus techniques telles que la prise de son, la prise de vue, le montage ou la conception assistée par ordinateur, doivent s’adapter, souvent en s’auto-formant, à l’avancée rapide des progrès technologiques.

• « Gérer des fichiers numériques » : la conservation, la gestion et la transmission des ressources documentaires ont été profondément bouleversées par les supports numériques et les réseaux informatiques. Le nouveau métier de « média manager » répond à ces nouvelles fonctions consacrées aux ressources numérisées, dans les chaînes de télévision et les sociétés de post-production : gestion des fichiers médias numériques dans la chaîne de production ; gestion des infrastructures dématérialisées ; livraison des flux d’images (audio et vidéo) ; gestion du stockage et de l’archivage des médias numérisés ; assistance aux utilisateurs.

• « Commercialiser des supports numériques » : à la baisse des ventes des produits physiques correspond le développement de la commercialisation des œuvres au format numérique (e-book, kiosque de presse en ligne, streaming vidéo, plates-formes de téléchargement audio et vidéo…). Dans ce contexte, c’est au métier émergent de « commercial en supports numériques », exercé au sein des entreprises éditrices ou productrices de biens culturels ou dans un cabinet de conseil indépendant, que revient la conception d’une stratégie numérique ; l’enrichissement du catalogue culturel numérique ; les relations avec les distributeurs ou diffuseurs numériques ; la distribution ou la commercialisation des produits culturels sur supports numériques ; la commercialisation des espaces publicitaires numériques du média sur différents supports.

• « Analyser son public et mesurer l’audience » : face à la diversité des nouveaux usages liés au numérique, l’étude des attentes des publics spectateurs, lecteurs, auditeurs s’effectue grâce à des outils de mesure et de prédiction de plus en plus sophistiqués, notamment à partir de l’analyse de la consultation des sites web et de l’usage des réseaux sociaux. Ainsi, les équipes marketing ont une responsabilité accrue dans les entreprises culturelles. Au sein d’un média ou d’un prestataire indépendant, un nouveau métier baptisé « responsable acquisition d’audience » assure la mise en place d’une veille marketing ciblée ; la mesure, l’analyse et le suivi de l’audience numérique du média ; le développement d’une stratégie d’acquisition d’audience ; la mise en œuvre de la stratégie d’acquisition et de fidélisation de l’audience.

• « Innover pour capter un auditoire plus volatil » : en exploitant le potentiel de créativité par les nouveaux outils numériques, les professionnels des médias et de la culture cherchent à retenir l’attention des publics sollicités par une offre infinie de contenus. Ainsi sont développées, pour le traitement de l’information, de nouvelles formes d’écriture comme les slow news, le fact checking, le data-journalisme ou encore les newsgames, faisant appel à des professionnels aux compétences tant artistiques que techniques. Dans le domaine de la culture, le « chargé de mécénat culturel » se doit, lui aussi, d’innover dans l’accomplissement des tâches qui sont les siennes : la définition et la mise en œuvre d’une stratégie de recherche de partenaires ou mécènes ; la gestion et l’administration de la relation contractuelle avec les mécènes ; le développement d’événements et le suivi des relations avec les mécènes.

• « Etre réactif face à un monde culturel en évolution constante » : dans la fabrication et la consommation quotidiennes de l’information, le temps réel – l’instantanéité – est devenu la règle, avec le succès des chaînes d’information en continu et la généralisation des notifications reçues sur les terminaux portables. Les professionnels, notamment les rédacteurs en chef et les JRI (journalistes reporters d’images), doivent obéir à cette nouvelle contrainte dans l’organisation de leurs multiples tâches et donc faire la preuve de leurs compétences en termes de réactivité, d’efficacité et de capacité d’adaptation, afin d’alimenter en permanence le flux de l’information.

• « Travailler en équipe et en partenariat » : l’arrivée de nouveaux concurrents, dans la création, la production et la diffusion des contenus (agences d’information spécialisées, start-up du marketing, fournisseurs d’accès, moteurs de recherche, réseaux sociaux…) a obligé les médias à intégrer de nouveaux métiers, afin de rester partie prenante dans l’évolution des usages. Aucun métier des médias et de la culture ne saurait aujourd’hui échapper à la nécessaire collaboration entre les anciens profils et les nouveaux entrants. « Ainsi, le journaliste reporter d’images et le rédacteur en chef travaillent de plus en plus souvent en liens étroits avec le développeur informatique, le responsable acquisition d’audience échange quotidiennement avec les data scientists, le chargé de mécénat culturel peut collaborer avec une agence numérique de financement participatif ou crowdfunding » La réalisation d’un projet passe par l’organisation d’équipes représentatives de plusieurs branches de métiers, et notamment par la maîtrise des règles de la négociation.

• « Comprendre les enjeux juridiques » : le respect de la propriété littéraire et artistique est la mission dévolue aux juristes dont les responsabilités s’amplifient à mesure qu’évoluent les technologies numériques. Néanmoins, « d’autres métiers du secteur culture et médias, tels l’éditeur, le journaliste reporter d’images, le chef d’antenne ou le documentaliste multimédia doivent désormais eux aussi comprendre et maîtriser certaines normes juridiques (droit d’auteur, droit à l’image…) ».

Destiné aux étudiants, aux cadres et aux employeurs, le référentiel des métiers cadres de l’Apec vise, en priorité, à identifier les compétences requises sur le marché de l’emploi. Plus largement, ce document riche en informations permet également, à tout lecteur, d’appréhender l’ampleur des mutations en cours dans les entreprises culturelles et de médias, sous l’angle du travail quotidien des professionnels qui contribuent à la « fabrication » de l’information et des biens culturels en général.

Source :

  • Les métiers de la culture et des médias. Les référentiels des métiers cadres, Apec – Afdas, recruteurs.apec.fr, décembre 2015.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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