Concurrence : après son succès face à Microsoft, la Commission européenne multiplie les enquêtes dans le secteur technologique

Après que le tribunal de première instance de la Cour de justice européenne (CJCE) de Luxembourg a confirmé, le 17 septembre 2007, la condamnation de Microsoft par la Commission européenne en 2004 (voir le n° 4 de La revue européenne des médias, automne 2007), Neelie Kroes, la commissaire européenne à la concurrence, a annoncé, le 22 octobre 2007, que Microsoft abandonnait ses deux derniers recours devant la justice européenne. Le premier porte sur l’accès à la documentation technique de Windows par les développeurs pour qu’ils puissent rendre leurs logiciels compatibles avec le système d’exploitation de Microsoft, qui équipe 95 % des ordinateurs personnels dans le monde et 70 % des serveurs de groupe de travail. Moyennant un droit unique d’entrée de 10 000 euros, en lieu et place d’un reversement de 2,98 % du chiffre d’affaires réalisé, les développeurs pourront utiliser les informations techniques de Microsoft. Le deuxième concerne le droit d’utilisation des brevets de Microsoft au niveau mondial. Celui-ci est abaissé de 5,95 % à seulement 0,4 % du chiffre d’affaires réalisé avec les logiciels utilisant des brevets Microsoft.

Forte de son succès, la Commission européenne est désormais sollicitée pour traiter en dernier ressort les problèmes de concurrence. Ainsi, le 13 décembre 2007, le groupe norvégien Opera Software ASA, éditeur du navigateur éponyme, troisième dans ce secteur derrière Internet Explorer et Firefox, a porté plainte auprès de la Commission pour abus de position dominante de Microsoft dans le domaine des navigateurs. La Commission, qui avait déjà demandé à Microsoft de mettre fin à la vente liée de Windows et de son lecteur multimédia Windows Media Player, faisait suite, le 14 janvier 2007, aux demandes d’Opera en ouvrant une première enquête sur le couplage de Windows et d’Internet Explorer. Opera Software souhaite que la Commission impose à Microsoft soit la fin de la vente liée de Windows et d’Internet Explorer, soit d’autoriser la préinstallation de navigateurs concurrents avec Windows.

Les risques sont importants pour Microsoft, qui voit la décision européenne de septembre 2007 annoncer une série de procès suite aux plaintes que déposeront ses concurrents. Ainsi, Jon S. Von Tetzchner, le PDG d’Opera Software, expliquait, dans une interview accordée aux Echos, que « la décision de Bruxelles de condamner Microsoft sur l’intégration de son logiciel de lecture multimédia Media Player dans Windows a créé un précédent » et « donc que le moment est extrêmement favorable ».

Le même 14 janvier 2007, la Commission européenne annonçait l’ouverture d’une seconde enquête au sujet de Microsoft, concernant cette fois la communication d’informations techniques par Microsoft à ses concurrents pour rendre compatible sa suite bureautique Office avec les produits de ses derniers. La Commission européenne s’appuie ici sur une plainte, déposée en février 2006 par l’association ECIS, laquelle regroupe les principaux concurrents de Micro- soft, IBM, Sun Microsystems, Adobe, RealNetworks ou encore Nokia.

La Commission européenne a également indiqué mener des recherches sur la vente liée de Windows et d’autres applications de Microsoft, à l’instar de Windows Live ou de Desktop Search. Une initiative qui vient s’ajouter à la série d’enquêtes ouvertes par la Commission dans le domaine des technologies de- puis le 17 septembre 2007.

En effet, le 1er octobre 2007, la Commission européenne précisait « ouvrir la procédure formelle en matière d’entente et de positions dominantes contre Qualcomm », suite aux plaintes déposées en 2005 contre le fabricant américain de puces électroniques par six constructeurs mondiaux, dont Nokia, Ericsson ou Texas Instrument. Ces derniers reprochent à Qualcomm d’abuser de sa position dominante dans la technologie CDMA pour exiger des rémunérations excessives sur les produits WCDMA (Wideband Code-Division Multiple Access) équipant les téléphones mobiles de troisième génération, alors même que ces technologies sont moins présentes dans les nou- veaux mobiles.

D’autres grands noms de l’univers technologique sont surveillés de près par Bruxelles. Ainsi, le 20 novembre 2007, la Commission européenne infligeait des amendes d’un montant total de 74,79 millions d’euros à Sony, Fuji et Maxwell, qui détiennent ensemble 85 % du marché mondial des bandes vidéo professionnelles, pour entente sur les prix entre 1999 et 2002. Par ailleurs, le 13 novembre 2007, la Commission européenne annonçait ouvrir une enquête approfondie sur le rachat par Google de la régie publicitaire Double Click, considérant que « ce rachat entraînerait des problèmes de concurrence sur les marchés de la commercialisation et de la gestion des annonces publicitaires en ligne ». Cette complication pour Google, qui devra proposer des remèdes pour limiter l’impact du rachat de Double Click auprès des consommateurs – l’objet même du droit de la concurrence -, tranche avec le feu vert donné par la Federal Trade Commission américaine au rachat de Double Click par Google, l’autorité américaine ayant considéré comme « improbable que ce rachat réduise significativement la concurrence », tout en précisant que l’utilisation des données personnelles des internautes ne relève pas du droit de la concurrence, ni de Google ou de Double Click en particulier, mais d’abord de la nature spécifique du marché de la publicité en ligne.

Sources :

  • « Après Microsoft, Bruxelles s’attaque à Qualcomm », La Tribune, 2 octobre 2007.
  • « Bruxelles soupçonne Qualcomm de pratiques abusives », Karl de Meyer, Les Echos, 2 octobre 2007.
  • « Microsoft se plie aux exigences de l’Union européenne », Emmanuel Grasland, Les Echos, 23 octobre 2007.
  • « Microsoft renonce à faire appel en Europe », V.C., Le Figaro, 23 octobre 2007.
  • « Microsoft se plie enfin aux demandes de Bruxelles », Jean-Baptiste Jacquin, La Tribune, 23 octobre 2007.
  • « Bruxelles ouvre une enquête approfondie sur le rachat par Google de DoubleClick », Les Echos, 14 novembre 2007.
  • « Bruxelles condamne Sony, Fuji et Maxwell pour entente », Karl de Meyer, Les Echos, 21 novembre 2007.
  • « Navigateurs Internet: le norvégien Opéra porte plainte contre Microsoft », AFP, 13 décembre 2007. – « Feu vert à l’acquisition de DoubleClick par Google », Les Echos, 21 décembre 2007.
  • « Bruxelles ouvre deux nouvelles enquêtes contre Microsoft », Emmanuel Grasland, Les Echos, 15 janvier 2008.
  • « Bruxelles ouvre de nouvelles enquêtes contre Microsoft », Philippe Ricard, Le Monde, 16 janvier 2008.
  • « Firefox peut se joindre à notre plainte contre Mircrosft », interview de Jon S. Von Tetzchner, PDG d’Opera Software, propos recueillis par Emmanuel Paquette, Les Echos, 16 janvier 2008.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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