Protection des droits d’auteur ou protection de la vie privée : la suspension d’une connexion Internet est-elle une restriction d’une liberté fondamentale ?

Le sujet de la riposte graduée pour lutter contre le piratage des œuvres sur Internet est en discussion au sein du Parlement européen. Lors de l’examen du « paquet télécom », en septembre 2008, un amendement a remis en cause son principe.

La réforme du « paquet télécom », ensemble des directives relatives aux télécommunications en Europe, adoptée le 24 septembre 2008 en première lecture par les eurodéputés, comporte un amendement incompatible avec le projet de loi français Création et Internet, visant à lutter contre le piratage des œuvres sur Internet. En effet, celui-ci prévoit la création d’une autorité administrative, la Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), dont le rôle serait de sanctionner les pirates par une coupure de leur accès Internet si ces derniers ne mettaient pas fin à leur activité de téléchargement illégal après deux avertissements. C’est le principe de « la riposte graduée », avertissements suivis d’une sanction, principe préconisé par la mission Olivennes conduite à l’automne 2007 (voir le n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008). Or l’amendement 138 au « paquet télécom », voté à 573 voix pour et 74 contre, stipule que les autorités de régulation nationales doivent promouvoir les intérêts des citoyens de l’Union « en vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire […] sauf en cas de menace à la sécurité publique, où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement ».

Si l’amendement est adopté définitivement, c’est le principe même de la riposte graduée qui risque d’être remis en cause. En avril 2008, dans un rapport parlementaire sur les industries culturelles, les eurodéputés s’étaient déjà déclarés opposés à la méthode choisie par la France pour lutter contre le piratage : « Le Parlement européen engage la Commission et les Etats membres […] à éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif, telles que l’interruption de l’accès à Internet. […] La criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique ». La commission du Parlement européen chargée des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) a rejeté le 25 juin 2008 les amendements visant à réintroduire le principe de la riposte graduée.

Le Conseil des ministres européens, présidé par la France, doit examiner le texte le 27 novembre 2008, avant son deuxième passage devant le Parlement européen au début de l’année 2009. Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, s’est exprimée contre cet amendement, à l’instar de la plupart des sociétés d’auteurs françaises (ARP, SACD, Sacem…) et des acteurs des industries musicales,audiovisuelles et cinématographiques qui soutiennent le projet du gouvernement. Selon la ministre de la culture Christine Albanel, le projet de loi français « ne porte en aucun cas atteinte aux droits et libertés fondamentaux » et relève d’une démarche « pédagogique et préventive », tandis que l’amendement du Parlement européen « se borne à rappeler un principe très général, qui n’ajoute rien au droit existant ». Côté réseaux, la CNIL, l’Arcep, l’ASIC, l’Isoc et l’AFA* y sont favorables, remettant en cause le principe de la riposte graduée d’un point de vue aussi bien juridique que technique.

En Grande-Bretagne, un accord interprofessionnel a été signé, l’été 2008, entre les six principaux fournisseurs d’accès à Internet et les représentants de l’industrie musicale, la British Phonographic Industry, et de l’industrie du cinéma, la Motion Picture Association. Selon cet accord, les FAI s’engagent à envoyer des lettres d’avertissement aux internautes pirates présumés (ils seraient au nombre de 6 millions en Grande-Bretagne), tandis que les producteurs d’œuvres musicales ou cinématographiques vont développer des offres légales attractives et compatibles aux différents standards existants. Le bilan de cette expérience d’une durée de trois mois devrait permettre d’évaluer la pertinence des solutions envisagées telles que la réduction du débit, la coupure de l’accès, le filtrage des connexions ou encore le marquage des contenus légaux. Le gouvernement britannique a lancé une consultation publique sur le sujet.

* CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), Asic (Association des services Internet communautaires),  Isoc (Internet Society),  AFA (Association des fournisseurs d’accès et de services Internet).

Sources :

  • Rapport sur les industries culturelles (2007/2153 (INI), Commission de la culture et de l’éducation, Rapporteur Guy Bono, Parlement européen, 4 mars 2008.
  • « Les FAI britanniques vont tester l’avertissement aux pirates », Julie de Meslon, 01net.com, 25 juillet 2008.
  • « Riposte graduée : la claque », Erwan Cario et Astrid Girardeau, Libération, 25 septembre 2008.
  • « Agitation autour du dispositif de riposte graduée contre les internautes pirates », Olivier Dumons, lemonde.fr, 26 septembre 2008.
  • « Nouvel obstacle pour la loi antipiratage », Jamal Henni, La Tribune, 26 septembre 2008.
  • « Désaccords européens sur la future loi Internet », Nicole Vulser, Le Monde, 27 septembre 2008.
  • « La riposte graduée mise à mal », R.J., Ecran total, n°723, 1er au 7 octobre 2008.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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