Alors que la France confirme la position dominante de Google sur les liens sponsorisés, la Commission européenne ouvre une enquête pour abus de position dominante contre le moteur de recherche.
Le 30 juin 2010, l’Autorité française de la concurrence avait, dans un avis conservatoire, demandé à Google de rétablir le compte AdWords de la société Navx, celui-ci ayant été supprimé dans des conditions discriminatoires (voir le n°16 de La revue européenne des médias, automne 2010). L’Autorité de la concurrence avait notamment reproché à Google « le manque d’objectivité et de transparence » de la régie AdWords qui commercialise les liens sponsorisés sur le moteur de recherche Google. Cet avis entrait dans le cadre d’une enquête sur le marché de la recherche en ligne, où l’Autorité a reconnu la position dominante de Google, laissant la porte ouverte à une qualification de ce marché comme marché pertinent. Google ayant dès l’été précisé les conditions de la publicité pour les radars, secteur où opère Navx, qui a par ailleurs récupéré son compte AdWords, l’Autorité de la concurrence a décidé de clore la procédure contre Google le 28 octobre 2010, tout en rendant obligatoires, à compter du 1er janvier 2011, les engagements pris par Google. Parmi ceux-ci, Google devra notamment publier sur son site toutes les modifications apportées à sa politique sur AdWords et en informer systématiquement tous ses partenaires. Un préavis de trois mois devra en outre être respecté avant toute suppression de compte AdWords.
Le 14 décembre 2010, l’autorité de concurrence confirmait son analyse dans l’avis rendu au gouvernement sur le marché de la recherche en ligne, l’autorité ayant été saisie en février 2010 par le ministère de l’économie et des finances (voir le n°14-15 de La revue européenne des médias, printemps-été 2010). Pour l’Autorité de la concurrence, « la publicité liée aux recherches constitue un marché spécifique et non substituable à d’autres formes de communication parce qu’elle permet un ciblage très fin et qu’il n’existe pas d’offre équivalente aux yeux des annonceurs ». Autant dire que n’a pas été entendu l’argument de Google, qui ne conteste nullement sa domination sur le marché des liens sponsorisés, mais qui insiste sur l’existence de nombreux autres formats de publicité en ligne.
L’avis de l’Autorité indique également que « Google est en position dominante sur le marché de la publicité liée aux recherches », avec 90 % de parts de marché dans la recherche, ce qui entraîne un taux de marge élevé dans la vente des liens sponsorisés (35 %) et des prix de 1,5 à 3 fois plus élevés que ceux de ses concurrents (Yahoo! et Microsoft). L’Autorité recommande donc au législateur des « mesures ciblées réglementaires et fiscales » pour réintroduire de la concurrence sur le marché de la publicité en ligne, en imposant notamment la transparence sur certaines pratiques de Google. L’avis comporte une liste de « préoccupations » sur des comportements susceptibles de relever de l’abus de position de dominante. On retrouve dans cette liste le manque de transparence des comptes AdWords, le recours au score de qualité comme moyen d’influencer les prix, la fermeture intempestive de comptes d’annonceurs, une référence évidente à l’affaire NavX, enfin l’opacité du partage des revenus entre Google et les éditeurs de sites pour les liens contextuels AdSense. L’Autorité de la concurrence a, en l’occurrence, proposé de « transposer les obligations de transparence de la loi Sapin au secteur de la presse en ligne ».
Les analyses de l’autorité française de concurrence auront sans aucun doute des conséquences, notamment sur le plan européen, où les affaires de Google se compliquent. Après la transmission d’une demande d’information à Google le 24 février 2010 (voir le n°16 de La revue européenne des médias, automne 2010), la Commission européenne a décidé de donner suite aux trois plaintes déposées contre Google par le comparateur de prix Ciao (groupe Microsoft), le site ejustice.fr (moteur de recherche spécialisé) et le comparateur de prix britannique Foundem. Une quatrième plainte s’est ajoutée aux trois premières selon la Commission qui, le 30 novembre 2010, a ouvert une enquête formelle contre Google pour un éventuel abus de position dominante. L’enquête approfondie portera sur l’ensemble du marché européen. Si les soupçons d’abus de position dominante se confirment, la Commission européenne transmettra alors à Google une communication de griefs. En attendant, Google s’est dit prêt à collaborer avec elle.
L’enquête de la Commission européenne porte sur plusieurs éléments, tous liés aux pratiques de l’activité « recherche » et de vente de liens sponsorisés du géant d’Internet. Une première direction de l’enquête portera sur la neutralité des résultats des recherches naturelles (hors liens sponsorisés) ou « Search Neutrality ». L’enquête devra déterminer si Google profite de sa domination sur le marché de la recherche en ligne pour dégrader la position, dans ses pages de résultats, de certains services qui seraient concurrents des offres que Google a également développées en plus de ses activités de recherche. C’est ce que lui reproche le comparateur Foundem, pour lequel les offres concurrentes des services développés par Google sont moins bien référencées dans les pages de résultats du moteur de recherche. Le français ejustice.fr aurait de son côté perdu 90 % de son trafic après un déclassement dans les résultats du moteur de recherche. D’autres services de Google seraient également très bien référencés par rapport à la concurrence, tels que les services de cartographie Google Maps. Les questionnaires de la Commission européenne envoyés fin décembre 2010 aux entreprises internet européennes afin qu’elles témoignent de leurs relations avec Google indiquent clairement que la Commission soupçonne une intervention du moteur de recherche sur le référencement naturel en fonction des enjeux commerciaux et notamment publicitaires. Ainsi, une question lie explicitement dépenses publicitaires et recherche : « Google vous a-t-il jamais indiqué qu’une hausse des dépenses publicitaires pourrait améliorer votre référencement naturel ? ».
La Commission européenne va également se pencher sur les conditions de facturation d’AdWords. Les liens sponsorisés, vendus aux enchères, sont affichés selon un système complexe de pertinence par rapport aux mots clés des recherches, au taux de clics et aux montants payés par les annonceurs. Chaque lien sponsorisé, en fonction des requêtes et du taux de clics, a ainsi un « score de qualité ». Moins celui-ci est bon, plus le lien sponsorisé est rétrogradé dans les liens affichés, quand bien même l’annonceur aurait payé plus cher le mot clé. La Commission européenne vérifiera notamment si Google n’a pas dégradé le score de qualité de certains services concurrents du groupe pour qu’ils apparaissent moins souvent dans les résultats sponsorisés.
La Commission européenne souhaite aussi vérifier que Google n’impose pas de clauses d’exclusivité aux sites utilisant AdSense (affichage de liens sponsorisés sur des pages web) ou aux fournisseurs d’ordinateurs et de logiciels. Les solutions publicitaires des concurrents de Google seraient dans ce cas pénalisées si les sites partenaires du programme AdSense ne peuvent y recourir. Tout en reconnaissant que certains accords d’exclusivité ont été passés lors des premiers contrats signés pour AdSense, Google a précisé que ces pratiques ont été abandonnées il y a deux ans.
Enfin, la Commission européenne s’interroge sur d’éventuelles restrictions imposées aux annonceurs par Google, qui leur interdirait de réutiliser chez ses concurrents (Bing, Yahoo! Search) les mots clés et paramètres techniques mis en place pour une campagne AdWords. Selon Les Echos, Google a démenti l’existence de telles restrictions.
Si l’enquête de la Commission européenne devait aboutir et déboucher sur une condamnation, Google risquerait alors une amende de 10 % de son chiffre d’affaires annuel, soit 2,4 milliards de dollars pour les comptes 2009. Il faudra toutefois que la Commission constate au préalable la position dominante de Google et qu’elle dispose ensuite de preuves d’abus. A ce jour, les autorités de concurrence n’ont bloqué aucune des acquisitions lancées par Google, faute d’avoir statué sur le statut du marché des liens sponsorisés. Si le marché de la publicité est un « marché pertinent » pour évaluer la position dominante d’un groupe, celui de la publicité en ligne et plus encore celui des seuls liens sponsorisés n’ont jamais été considérés comme des marchés pertinents dans une décision de justice, à l’exception de l’avis récent de l’Autorité de la concurrence française.
Tout dépendra donc du périmètre de marché retenu par la Commission européenne. En effet, si Google domine sans aucun doute le marché des liens sponsorisés, il représente seulement 3 % du marché de la publicité dans le monde.
Sources :
- « Abus de position dominante : l’Autorité de la concurrence clôt la procédure contre Google », Le Monde, 28 octobre 2010.
- « Mis en accusation sur son système de liens sponsorisés, Google s’offre un répit », N. Ra., Les Echos, 29 octobre 2010.
- « Bruxelles ouvre une enquête contre Google pour abus de position dominante », Le Monde, 30 novembre 2010.
- « Bruxelles ouvre une enquête sur Google », Claire Gallen, Le Figaro, 1er décembre 2010.
- « La toute-puissance de Google au cœur d’une enquête à Bruxelles », Florence Autret, La Tribune, 1er décembre 2010.
- « Google dans le collimateur de la Commission européenne », Alexandre Counis et Nicolas Rauline, Les Echos, 1er décembre 2010.
- « Google au banc des accusés sur la publicité en ligne », Sandrine Cassini, La Tribune, 15 décembre 2010.
- « La position dominante de Google reconnue en France », Nicolas Rauline, Les Echos, 15 décembre 2010.
- « Concurrence : Google dans la ligne de mire », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 15 décembre 2010.
- « Google soupçonné de manipuler ses services », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 5 janvier 2011.