A propos du litige opposant Orange à l’opérateur de transit Cogent, l’Autorité de la concurrence tranche en faveur du premier, une prise de position encore inédite dans le monde de la part d’une autorité de régulation.
En mai 2011, la société américaine Cogent qui, à l’instar d’une dizaine d’autres opérateurs de télécommunications intermédiaires (Level 3, Verizon Business, Tata Telecom, Orange…), fait transiter, grâce à la mutualisation des interconnexions, les contenus entre les éditeurs de services en ligne et les fournisseurs d’accès, a déposé une plainte pour abus de position dominante auprès de l’Autorité de la concurrence à l’encontre du français Orange. Opérateur de transit internet, Cogent s’opposait à la facturation que lui imposait Orange en contrepartie de l’ouverture de capacités techniques supplémentaires d’accès aux abonnés d’Orange. L’augmentation du volume des contenus vidéo transmis sur ses réseaux par Cogent, qui comptait notamment parmi ses clients le site d’hébergement de vidéos Megaupload (avant que celui-ci ne soit fermé par la justice américaine en janvier 2012), contraindrait Orange à investir davantage dans des équipements capables d’assurer ce trafic exponentiel de données.
Tous les opérateurs du réseau Internet sont désormais confrontés à une hausse sans précédent de la consommation des contenus vidéo en ligne (voir infra) qui tend à remettre en cause le système de troc, appelé peering, que les opérateurs de transit utilisent pour s’interconnecter entre eux. Selon cette pratique, les échanges de flux restent gratuits entre deux opérateurs, dès lors qu’ils sont équilibrés. Ainsi, le contrat signé en 2005 par Cogent avec Orange mentionne un facteur de 2,5. Orange affirme que les flux envoyés par Cogent sur ses réseaux ont été parfois jusqu’à treize fois supérieurs à ceux qu’il envoie lui-même sur les réseaux de ce dernier.
L’Autorité de la concurrence a conclu qu’il n’y avait pas, en l’état, de pratique anticoncurrentielle. Considérant qu’une demande de rémunération en cas de déséquilibre important entre les flux entrants et sortants est une pratique prévue (peering payant), elle reconnaît à Orange, dans sa décision du 20 septembre 2012, le droit d’exiger une rémunération de la part de Cogent. Dans son argumentation, l’Autorité de la concurrence précise en outre que l’opérateur Orange (France Télécom à l’époque) n’a pas refusé l’accès de Cogent à ses abonnés, puisqu’il avait déjà ouvert gratuitement des capacités supplémentaires entre 2005 et 2011 afin de répondre aux demandes de Cogent. Sa demande de rémunération est conforme à sa politique de peering pour l’ouverture de nouvelles capacités et ne remet pas en question la gratuité de celles qui sont déjà ouvertes. Néanmoins, l’Autorité française de la concurrence demande à Orange qui, par l’intermédiaire de sa filiale Open Transit, cumule les activités de fournisseur d’accès et d’opérateur de transit de clarifier les relations tarifaires et commerciales entre ses différentes activités, relations entachées d’opacité. L’Autorité de la concurrence souhaite ainsi prévenir d’éventuelles pratiques de « ciseau tarifaire », par lesquelles un opérateur comme Orange, qui propose à la fois une offre commerciale sur le marché de gros pour l’accès aux infrastructures (opérateur de transit) et une offre d’accès sur le marché de détails (internautes), peut appliquer des tarifs qui tendent à évincer la concurrence. Répondant à la demande de l’Autorité, Orange a pris des engagements en faveur d’une plus grande transparence.
Deux autres affaires sont en cours concernant le marché de l’interconnexion. Dans une première affaire, les opérateurs de télécommunications américains AT&T et Verizon ont annoncé au Bureau des régulateurs européens (BEREC), en juin 2012, leur intention de saisir le Conseil d’Etat. Ils souhaitent faire annuler la décision prise, en mars 2012, par l’Autorité de régulation des télécoms (ARCEP) d’imposer aux opérateurs présents en France de lui transmettre tous les six mois leurs données d’inter- connexion. Dans une autre affaire, l’association UFC-Que Choisir en appelle, quant à elle, à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et à l’ARCEP, en septembre 2012, pour défendre les intérêts des consommateurs abonnés à Free, victimes du litige qui oppose le fournisseur d’accès à Google depuis des mois, entraînant une lenteur, voire une impossibilité de connexion pour consulter des vidéos sur YouTube à certaines heures de la journée. Free reconnaît l’existence de ces dysfonctionnements, accusant Google de refuser de payer pour bénéficier de la capacité de connexion nécessaire. Les fournisseurs de contenus en ligne, parmi les plus gros, notamment YouTube, Netflix et Amazon, s’opposent toujours à l’idée de payer des factures en fonction des données qu’ils envoient sur le réseau.
Sources :
- Décision du 20 septembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d’interconnexion réciproques en matière de connectivité Internet, Autorité de la concurrence, autoritedelaconcurrence.fr.
- « 20 septembre 2012 : Trafic Internet – Accords de « peering », communiqué de presse, Autorité de la concurrence, autoritedelaconcurrence.fr.
- « Orange peut facturer des flux internet à des opérateurs utilisant son réseau », AFP, tv5.org, 20 septembre 2012.
- « Neutralité du Net : l’Autorité de la concurrence s’érige en arbitre des litiges entre opérateurs », Solveig Godeluck, Les Echos, 21-22 septembre 2012.
- « Les acteurs d’Internet appelés à financer les réseaux de télécommunications », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 22 septembre 2012.