Loi pour une sécurité globale préservant les libertés : beaucoup de bruit pour rien ?

La loi pour une sécurité globale préservant les libertés, promulguée le 25 mai 20211 est, à bien des égards, beaucoup moins ambitieuse que la proposition de loi initiale « relative à la sécurité globale », déposée à l’Assemblée nationale le 20 octobre 20202.

Cette proposition, qui visait notamment à renforcer la protection des forces de l’ordre et à les doter de nouveaux outils de surveillance des citoyens, avait suscité plusieurs avis critiques, émanant de la Défenseure des droits3, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)4 ou de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil)5, soulignant les risques d’atteintes aux libertés publiques, à la liberté d’expression et au droit au respect de la vie privée, en particulier. Son article 24, dont la version initiale interdisait la diffusion d’images de policiers ou gendarmes en cours d’intervention dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique, avait du reste donné lieu à de multiples manifestations publiques et mobilisations médiatiques pour la défense de la liberté de la presse.

Malgré le changement du titre de la loi définitivement adoptée le 15 avril 20216, le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, à la fois par le Premier ministre, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs, en a censuré, par une décision du 20 mai 20217, douze dispositions. Parmi elles, figurent les dispositions les plus contestées, insérées aux articles 47 et 52 de la loi votée, respectivement issus des articles 22 et 24 de la proposition initiale. La loi publiée consacre, de ce fait, une protection amoindrie des agents des forces de l’ordre et un usage résiduel des drones équipés de caméras par les autorités publiques. 

Protection amoindrie des agents des forces de l’ordre

Le renforcement de la protection des agents des forces de l’ordre était à l’origine du très controversé article 24 de la proposition de loi initiale, devenu l’article 52 de la loi votée. La censure de son premier paragraphe, qui instituait un délit de provocation malveillante à l’identification d’un agent des forces de l’ordre, laisse subsister la répression, prévue par le deuxième paragraphe, des traitements illicites de données personnelles concernant des fonctionnaires ou des personnes investies d’une mission de service public.

Censure du délit de provocation malveillante à l’identification d’un agent des forces de l’ordre

L’article 52-I de la loi votée instituait, dans la section du code pénal traitant de l’« atteinte à la vie privée », un nouvel article 226-4-1 punissant de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende « la provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police, ou d’un agent des douanes, lorsqu’il est en opération ».

Compte tenu de l’imprécision des termes du texte, le Conseil constitutionnel, estimant que « le législateur n’a pas suffi­samment défini les éléments constitutifs de l’infraction », a considéré que cette disposition qui « méconnaît le principe de légalité des délits et des peines », était contraire à la Constitution. La notion d’« opération » n’était pas définie et il était impossible de savoir si la constitution matérielle de l’infraction exigeait que celle-ci soit commise pendant l’opération elle-même, ou bien si elle pouvait viser des agents ayant participé à une opération. Quant à l’élément intentionnel, on ne savait pas si « le but manifeste » de porter atteinte à l’intégrité de l’agent devait être caractérisé indépendamment de la seule « provocation à l’identification ».

Répression des traitements illicites de données personnelles concernant des fonctionnaires

Non visé par les saisines du Conseil constitutionnel, le second paragraphe de l’article 52 insère, dans la section du code pénal relative aux « atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques », un article 226-16-2 incriminant « le fait de procéder ou de faire procéder à un traitement de données à caractère personnel relatives à des fonctionnaires ou à des personnes chargées d’une mission de service public en raison de leur qualité », en dehors des finalités prévues par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) du 27 avril 2016 et la loi dite « informatique et libertés » du 6 janvier 1978. Les sanctions encourues sont une peine de cinq ans d’emprisonnement et une amende de 300 000 euros.

Inspirée notamment par l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, cette disposition a pour objet d’éviter la divulgation, sur les réseaux sociaux en particulier, de données personnelles, telles que l’identité et l’adresse personnelle ou professionnelle, concernant un fonctionnaire pris en cette qualité. La création de ce nouveau délit conduit à s’interroger sur l’opportunité d’adopter l’article 18 dit « Samuel Paty » du projet de loi amendé confortant le respect des principes de la République8, qui réprime « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».

Plus restrictif dans ses éléments constitutifs que l’arti­cle 226-16-2 du code pénal, ce délit paraît redondant, d’autant que la commission des faits « au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique » ou « chargée d’une mission de service public » est considérée comme l’une des circonstances aggravantes de l’infraction, portant les peines encourues à cinq ans d’emprison­nement et à 75 000 euros d’amende.

Usage résiduel des drones par les autorités publiques

L’article 47-I de la loi promulguée institue, dans le Code de la sécurité intérieure (CSI), un chapitre inti­tulé « Caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord » (autrement appelés « drones »), qui encadre les conditions d’utilisation de ces caméras par les autorités publiques. La censure par le Conseil constitutionnel de trois dispo­sitions de cet article limite les services autorisés à utiliser de tels dispositifs de surveillance.

Encadrement des conditions d’utilisation des drones équipés de caméras

En l’absence de réglementation des conditions d’utilisation des drones par les autorités publiques, le Conseil d’État avait, par deux ordonnances du 18 mai 20209 et du 22 décembre 202010, enjoint l’État et le préfet de police de cesser de les utiliser pour assurer le respect des règles de sécurité sanitaire, d’une part, et la surveillance des manifestations, d’autre part (voir La rem n°54, p.8). De son côté, la Cnil avait prononcé une injonc­tion contre le ministère de l’Intérieur11 pour la captation illicite de données personnelles à partir de drones équipés de caméras (voir La rem n°56, p.20).

L’article L. 242-1 CSI autorise désormais certains servi­ces investis de missions de sécurité civile à « procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées » sur des drones. Le périmètre et les conditions de réalisation des traitements autorisés sont étroitement encadrés. L’article L. 242-1 interdit la captation du son par les drones, l’analyse, à l’aide de dispositifs de reconnaissance faciale, des images enregistrées, ainsi que les interconnexions et rapprochements entre les données collectées par les drones et d’autres données personnelles. L’article L. 242-4, alinéa 1er, CSI exige que la mise en œuvre des traitements autorisés soit « justifiée au regard des circonstances de chaque intervention, pour une durée adaptée auxdites circonstances et qui ne peut être permanente » et que ces traitements soient limités aux « seules données à caractère personnel stric­tement nécessaires à l’exercice des missions concernées ».

Pour limiter les atteintes au droit au respect de la vie privée, l’article L. 242-3 CSI subordonne l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images à l’information générale du public par le ministre de l’Intérieur et la mise en œuvre de ces dispositifs à l’infor­mation des personnes concernées sur l’existence de tels dispositifs, « sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ». L’article L. 242-4, alinéa 2, CSI impose à l’autorité responsable de tenir « un registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi que les personnes ayant accès aux images ». La durée de conservation des enregistrements comportant des données personnelles est, en principe, limitée à trente jours.

À ces garanties générales des droits des personnes concernées, l’article L. 242-2 CSI ajoutait des garanties spécifiques à l’usage de drones sur la voie publique par les services de sécurité intérieure et de police municipale, telles que l’interdiction de visualiser des images de l’intérieur des domiciles et de celles de leurs entrées. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, avec celles qui autorisaient ces services à utiliser des drones munis de caméras.

Limitation des services autorisés à utiliser des drones équipés de caméras

Dans la version votée de la loi, l’article 47-I autorisait l’utilisation de drones par les services étatiques chargés de la sécurité intérieure et de la défense nationale dans le cadre de leurs missions de police judiciaire ou de police administrative (article L. 242-5 CSI) ainsi que, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, par les services de police municipale « aux fins d’assurer l’exécution des arrêtés de police du maire et de constater les contraventions à ces arrêtés » (article L. 242-7 CSI).

Tout en admettant la possibilité, pour le législateur, d’autoriser le traitement d’images par des drones « aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infrac­tions pénales ou aux fins de maintien de l’ordre et de la sécurité publics », le Conseil constitutionnel considère que « la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée ».

En l’espèce, comme l’avait relevé le Conseil d’État dans son avis du 20 septembre 202012, les finalités justi­fiant l’utilisation de drones par les services de sécurité intérieure ou de police municipale étaient très larges. Cet usage était subordonné à l’obtention d’une autorisation judiciaire ou administrative, justifiée par les circonstances et pour une durée adaptée, mais dont la limite maximale n’était pas fixée par la loi. Le recours à l’usage de drones ne présentait pas « un caractère subsidiaire en matière de police administrative ». Aucune limitation du nombre de drones munis de caméras suscep­tibles d’être utilisés simultanément par les services habilités de l’État et de la police municipale n’était prévue par la loi.

Le Conseil constitutionnel en déduit que, au regard des motifs et des conditions d’encadrement du recours aux drones par les services de sécurité intérieure ou de police municipale, « le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée ».

Seuls les sapeurs-pompiers des services de secours et d’incendie et les agents investis d’une mission de sécurité civile sont donc habilités, par l’article L. 242-6 CSI, à faire usage, « en tous lieux », de drones équipés de caméras, dans le seul but d’assurer « la prévention des risques naturels ou technologiques » ou « le secours aux personnes et la lutte contre l’incendie ».

Amputée de ses dispositions relatives à l’institution d’un délit de provocation malveillante à l’identification d’un agent des forces de l’ordre, ainsi qu’à l’usage de drones par les autorités de police judiciaire ou administrative, la loi du 25 mai 2021 « pour une sécurité globale préservant les libertés » n’a peut-être pas complè­tement atteint le premier des objectifs énoncés dans son titre. La liberté de la presse et le droit des citoyens au respect de leur vie privée n’en semblent, pour le moment au moins, que mieux préservés.

Sources :

  1. Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, JORF, 26 mai 2021.
  2. Proposition de loi n° 3452, AN, 20 octobre 2020.
  3. Avis n° 20-05 du 3 novembre 2020 et n° 20-06 du 17 novembre 2020.
  4. Avis A-2020-16 du 26 novembre 2020 sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. 
  5. Délibération n° 2021-011 du 26 janvier 2021 portant avis sur une proposition de loi relative à la sécurité globale. 
  6. Proposition de loi n° 599, AN, 15 avril 2021.
  7. Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.
  8. Projet de loi n° 3649, adopté par le Sénat le 12 avril 2021.
  9. CE, 18 mai 2020, n° 440442 et 440445.
  10. CE, 22 décembre 2020, n° 446155.
  11. Délibération de la formation restreinte n° SAN-2021-003 du 12 janvier 2021.
  12. CE, Avis n° 401214 relatif à l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques.

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