Commission européenne : Google accusé de pratiques abusives sur le marché publicitaire en ligne

Double Click for Publishers informé des meilleurs tarifs des enchères, AdX seule consultée pour répondre aux demandes des annonceurs… ces pratiques anticoncurrentielles conduisent la Commission européenne à porter plainte pour abus de position dominante et à menacer Google de démantèlement.

Alphabet détenait déjà le record du montant total cumulé des amendes infligées par la Commission européenne à une entreprise technologique pour des comportements anticoncurrentiels. Le groupe a été condamné en 2017 pour avoir favorisé Google Shopping dans les requêtes de Google Search (voir La rem n°44, p.14), en 2018 pour avoir contraint les fabricants de smartphones à utiliser la version d’Android qui prévoit l’installation par défaut des autres applications du groupe (voir La rem n°48, p.5), enfin en 2019 pour les conditions contractuelles d’AdSense interdisant en grande partie à recourir à des régies tiers (La rem n°50-51, p.20). Dans les deux premières condamnations, Alphabet a profité de la position dominante de l’un de ses services – Google Search dans le premier cas, Android dans le second – pour imposer ses autres offres. Ces pratiques, par nature anticoncurrentielles, pourraient cette fois-ci valoir à Alphabet de devenir la première entreprise contrainte par la Commission européenne de se délester de certaines activités jugées problématiques.

En effet, le 14 juin 2023, la Commission européenne, par la voix de Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, a annoncé avoir déposé une plainte formelle contre Google pour abus de position dominante sur le marché de l’adtech, c’est-à-dire les régies publicitaires automatisées. En favorisant sa plateforme maison d’intermédiation, AdX, Google aurait exclu nombre de ses concurrents tout en surfacturant à ses clients annonceurs son activité d’appariement de l’offre à la demande.

AdX, ou Google Ad Exchange, est le nom commercial actuel de l’ex-régie publicitaire Double Click rachetée par Google en 2008 (voir La rem n°10-11, p.35). AdX est devenue progressivement une place de marché publicitaire, c’est-à-dire un espace où s’échangent en temps réel des informations sur les annonceurs qui veulent communiquer (regroupés dans des DSP – demand side platform) et sur des éditeurs de sites web qui proposent des espaces publicitaires (regroupés dans des SSP – service side plateform). Ces informations sont traitées de telle sorte que les annonceurs sont censés trouver, par un jeu d’enchères, les meilleures offres parmi l’ensemble des espaces publicitaires proposés côté SSP. La place de marché qui opère cette mise en relation de l’offre et de la demande – AdX en l’espèce – facture cette intermédiation.

Google Ads est une DSP, c’est-à-dire l’interface que propose Google à des annonceurs pour gérer leurs campagnes publicitaires en ligne (ads.google.com). Les DSP devraient, de façon générale, interroger le maximum de places de marché publicitaire (du type AdX) pour s’assurer de trouver, par le jeu des enchères, les espaces publicitaires les plus optimisés et au meilleur prix, pour les demandes des annonceurs dont elles ont la charge. Or, la Commission européenne reproche à Google Ads d’avoir tendance à limiter ses requêtes presque exclusivement à la place de marché AdX, ce qui pénalise les annonceurs et les autres places de marché. Elle reproche également à Google d’avoir communiqué à Double Click for Publishers (DFP), la DSP maison associée à AdX, le prix des autres enchères concurrentes, afin qu’AdX puisse systématiquement faire une offre plus basse et ainsi s’assurer du contrôle du marché. Concrètement, les annonceurs sont donc renvoyés par défaut sur AdX qui donne en exclusivité à Double Click for Publishers toutes les informations nécessaires pour s’assurer de remporter les enchères.

La Commission européenne indique en conséquence un conflit d’intérêts, AdX s’adressant aux annonceurs, donc à la demande, tout en accueillant aussi des prestations côté vente avec Double Click for Publishers (DFP). Pour éviter ce conflit d’intérêts, la Commission européenne attend des solutions de la part de Google, faute de quoi elle envisage de demander au groupe américain de céder AdX et DFP afin de ne plus opérer sur la partie « vente » des activités publicitaires, et de se concentrer ainsi sur la gestion de la demande par les annonceurs. En effet, le modèle économique du groupe Alphabet repose à 80 % sur les ressources publicitaires, donc sur la gestion de la demande des annonceurs, ce qui impose logiquement de demander à Alphabet de se séparer de ses activités en lien avec la gestion de l’offre des éditeurs de sites web et d’applications tiers. Une telle obligation reste toutefois exceptionnelle et la menace semble agitée pour obtenir d’abord des concessions rapides.

Sources :

  • Debès Florian, « Bruxelles envisage à son tour de forcer Google à se couper en deux », Les Échos, 14 juin 2023.
  • Cohen Claudia, « Publicité en ligne : Bruxelles menace Google de démantèlement », Le Figaro, 15 juin 2023.
  • Schmitt Fabienne, « Publicité en ligne : Bruxelles prête à utiliser l’arme atomique contre Google », Les Échos, 15 juin 2023.