Condamné au paiement d’une amende de 438 millions de roubles en Russie, Google va modifier une partie de sa politique concernant la commercialisation des smartphones équipés du système d’exploitation Android.
C’est finalement en Russie que Google a fini par plier. Le géant américain est accusé depuis un certain temps de pratiques anticoncurrentielles assez diversifiées, qui concernent notamment les services de référencement et de comparaison des prix, de publicité contextuelle (voir La rem n°36, p.58 et n°40, p.14), mais aussi, et surtout, les licences relatives à la commercialisation des smartphones équipés du système d’exploitation Android (voir La rem n°38-39, p.25). À travers la mutualisation de ses nombreux services et applications, Google parviendrait en effet à évincer nombre de ses concurrents sur les marchés pertinents. Ces pratiques ont pu attirer l’attention de la Federal Trade Commission aux États-Unis et celle du Bureau de la concurrence du Canada, avec des résultats pour l’instant contrastés. En Europe, la Commission a pu communiquer plusieurs séries de griefs à l’entreprise, les 20 avril et 14 juillet 2016.
Pour les mêmes raisons, le Service fédéral antimonopole de la Fédération de Russie avait ouvert une enquête en 2015, faisant suite à une plainte de Yandex, exploitant d’un moteur de recherche et principal concurrent local de Google. Cette procédure s’est soldée par une amende de 438 millions de roubles (8 millions de dollars US)1.
Les origines de la sanction du Service fédéral antimonopole de Russie
Les griefs reprochés à Google en Russie sont comparables à ceux qui ont pu être relevés dans l’Union européenne. Il lui a été reproché d’imposer, dans ses contrats avec les fabricants de smartphones équipés du système d’exploitation Android, la préinstallation de plusieurs applications, qui sont parmi les plus essentielles à l’utilisation de ce type de terminaux. Ainsi, pour pouvoir installer Google Play, qui permet d’accéder à d’autres services, les fabricants devaient obligatoirement préinstaller la suite complète Google Mobile Services. Celle-ci comprend plusieurs applications diversifiées, allant du réseau social (Google+) à la plate-forme de contenus audiovisuels (YouTube), en passant par la messagerie (Gmail), le navigateur (Chrome), ainsi que d’autres services (Translate, Docs,…). Par ailleurs, les fabricants devaient définir Google Search comme moteur de recherche par défaut. Enfin, il leur était interdit de proposer des applications émanant de concurrents.
L’abus de position dominante était caractérisé, selon le régulateur russe. Les effets de ces pratiques sont considérables sur le marché des applications pour smartphones. Les concurrents subiraient un effet de verrouillage, ne pouvant proposer des services compatibles avec Android. Cela s’en ressentirait aussi au niveau des consommateurs, dont la capacité de choix serait plus restreinte. La performance même des applications en serait affectée, puisque celles qui se révéleraient plus innovantes seraient de toute façon exclues. Une fois encore, Google tentait d’imposer un ensemble de services qui lui sont propres, ce qui pouvait évincer d’autres acteurs, tels que Yandex. Google vient de céder au bras de fer et entend désormais modifier sa politique.
L’ouverture de l’OS mobile de Google aux applications concurrentes
Outre le paiement de l’amende précitée, dont le montant n’est pas vraiment dissuasif, l’entreprise américaine a décidé de se conformer aux indications du régulateur russe2. C’est ainsi que le système d’exploitation mobile va être ouvert aux moteurs de recherche concurrents. Un nouveau widget va être ajouté en remplacement de celui de Google Search. Lors de la première utilisation, les consommateurs se verront proposer plusieurs applications de recherche, incluant bien sûr celle de Google, mais aussi celle de Yandex et de tout autre concurrent ayant passé un accord. L’utilisateur pourra alors choisir celle qu’il définit comme moteur de recherche par défaut. Au-delà, Google a aussi indiqué qu’il effectuerait une mise à jour des smartphones qui sont déjà en circulation, afin que leurs propriétaires puissent eux aussi basculer vers d’autres moteurs de recherche. Enfin, tout concurrent qui souhaiterait proposer une application de ce type compatible avec Android pourra contacter Google en vue de définir un accord.
Ces mesures sont censées restaurer une bonne concurrence sur le marché des moteurs de recherche. Il faut néanmoins espérer que la présentation de ces services sera suffisamment claire et équitable, surtout lorsque l’on connaît les pratiques de Google dans d’autres domaines. Que ce soit en matière de comparateurs de prix, avec Google Shopping, ou de publicité, avec AdSense, l’entreprise a veillé à ce que ses services soient présentés dans des positions plus favorables, voire exclusives, ce qui donne lieu aux autres enquêtes. Cette preuve de bonne volonté n’est bien sûr pas passée inaperçue, notamment pour la Commission européenne.
Une stratégie de défiance vis-à-vis de Google
Si elle concourt au maintien de la concurrence et de l’innovation sur le marché des applications mobiles, la décision du régulateur russe ajoute aussi une pierre au mouvement de défiance vis-à-vis de Google en Russie.
Les révélations de l’affaire Snowden n’y sont bien sûr pas étrangères, ce qui a justifié des prises de position politique. Le ministère de la communication a ainsi annoncé sa volonté, depuis 2015, de développer une technologie alternative à celle d’Android. Le but affiché est de réduire la dépendance du marché russe de la téléphonie mobile aux services proposés par Apple et Google (95 % actuellement). Le système d’exploitation Sailfish OS, développé sur une base Linux par une entreprise finlandaise, a été certifié depuis par le gouvernement russe. Il devrait maintenant se développer sur le marché, en concurrence des systèmes d’origine américaine. De même, il est question de durcir la législation à l’encontre des sites étrangers qui ne respecteraient pas les décisions des juridictions russes, afin de permettre un bridage des connexions. Des services tels que Google et Facebook seraient évidemment en ligne de mire, l’objectif étant d’inciter les internautes à se tourner vers des sites alternatifs russes. Si la faisabilité technique de ces mesures reste sujette à débats, leur simple évocation accentue le climat protectionniste qui pèse sur les services de communication en ligne.
Sources :
- Yandex vs Google, FAS Russia decision and determination of 18 September 2015 n° 1-14-21/00-11-15, http://en.fas.gov.ru/documents/documentdetails.html?id=14677
- « FAS Russia Reaches Settlement with Google »,
17 April 2017, http://en.fas.gov.ru/press-center/news/detail.html?id=49774