Mobilisation tous azimuts pour limiter les « pratiques fiscales dommageables »

Les Etats, les instances supranationales, qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de l’OCDE, se mobilisent pour repenser l’ordre fiscal international, et ainsi mettre un terme à l’optimisation fiscale des multinationales. Au-delà des pratiques d’optimisation, l’évasion fiscale s’inscrit sur l’agenda politique avec l’affaire des « Panama Papers ».

 

Après le scandale du LuxLeaks en novembre 2014, les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales sont devenues une priorité en Europe, deux mois après que l’OCDE a présenté son plan pour lutter contre « l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices », le plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting). Ce plan vise à remédier à l’incohérence de l’organisation de la fiscalité internationale, imaginée dans les années 1920 pour éviter la double imposition des bénéfices tirés d’activités industrielles localisées à l’étranger. En effet, depuis que les actifs immatériels permettent de transférer sans difficulté les bénéfices d’un pays à l’autre, l’optimisation fiscale bat son plein (voir La rem n°33, p.12).

Les vrais responsables restent toutefois les nations qui la rendent possible. L’opportunisme de petits pays, pressés d’attirer les sièges et les filiales de grandes entreprises, se traduit en effet par une évaporation de l’impôt là où l’activité économique a pourtant lieu. En définitive, les multinationales sortent toujours vainqueurs, quand les pays victimes de l’évasion ou ceux qui la rendent possible finissent toujours par trouver un Etat susceptible de surenchérir sur les avantages fiscaux à accorder.

Sur ce point, les concurrences fiscales entre pays européens illustrent l’égoïsme national qui prévaut au sein de l’Union européenne. Mais les multinationales ne sont pas qu’opportunistes, l’optimisation fiscale qu’elles pratiquent pouvant les conduire à des surenchères qui restent interdites, ce que la Commission européenne a commencé à dévoiler grâce aux enquêtes qu’elle mène depuis 2015. L’affaire des « Panama Papers » rappelle en outre combien la tentation de l’évasion fiscale est forte, y compris au plus niveau.

Le plan BEPS adopté, sa mise en œuvre est enclenchée

Missionné depuis 2013 par le G20, l’OCDE a finalement présenté la version définitive du plan BEPS le 5 octobre 2015, laquelle inclut quinze recommandations pour lutter contre l’optimisation fiscale des multinationales. Le 8 octobre 2015, le plan BEPS était adopté par les ministres des finances du G20, avant son adoption définitive par les chefs d’Etat du G20 les 15 et 16 novembre 2015. Selon l’OCDE, l’évasion fiscale représente entre 4 % et 10 % des revenus mondiaux de l’impôt sur les entreprises, soit une perte de recettes fiscales pour les Etats oscillant entre 100 et 240 milliards de dollars par an, l’évaluation étant jugée prudente par l’OCDE.

Avec les quinze recommandations du plan BEPS, l’OCDE vise à mieux encadrer les produits hybrides (produits dont le statut fiscal varie d’un pays à l’autre) ; la déduction des intérêts ; les prix de transfert (prix des refacturations entre filiales d’une multinationale) ; le chalandage fiscal (exploitation des conventions fiscales entre Etats pour créer des sociétés « boîtes aux lettres » permettant de localiser les profits là où ils sont peu ou pas taxés).

Enfin, le plan de l’OCDE lutte contre les pratiques fiscales dites dommageables, lesquelles recouvrent notamment tous les dispositifs de taxation allégée sur les revenus de la propriété intellectuelle (les patent boxes, « boîtes à brevets »).

Ces dispositifs ne sont pas interdits, mais ils doivent être encadrés afin que les bénéfices tirés de la propriété intellectuelle soient bien déclarés là où ont lieu les dépenses en recherche et développement. Afin de renforcer la transparence sur la fiscalité des multinationales, le plan de l’OCDE prévoit également le reporting pays par pays à partir de 2016, à savoir l’obligation pour toute multinationale dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros, et qui opère dans au moins deux pays étrangers, à communiquer aux administrations fiscales de ces pays son chiffre d’affaires, le nombre de ses salariés, ses actifs, ses profits et pertes avant impôts, et les impôts qu’elle a acquittés.

Ces déclarations, par le croisement des critères, permettent d’identifier rapidement les pratiques d’optimisation en redessinant un lien entre les actifs et les employés dans un pays, le chiffre d’affaires, les bénéfices et les impôts qui y sont déclarés. En effet, le principe de l’optimisation fiscale consiste essentiellement à transférer des bénéfices commerciaux vers des pays fiscalement avantageux en refacturant entre filiales l’exploitation de droits de propriété intellectuelle.

Le plan BEPS s’est traduit une première fois en Europe par la présentation, le 28 janvier 2016, de deux directives visant à sa mise en application, une première directive imposant le reporting pays par pays, une seconde précisant les règles européennes en matière de lutte contre l’optimisation fiscale, cette dernière directive allant bien au-delà des recommandations du plan BEPS. Elle propose ainsi qu’un pays retrouve le pouvoir de taxer les revenus d’une filiale étrangère de multinationale, à condition qu’il en abrite le siège social et que le pays d’accueil de la filiale ait un taux d’imposition inférieur d’au moins 60 %. Elle prévoit également des dispositifs de lutte contre la double non-imposition en imposant la transparence sur les taxes effectivement payées.

Elle précise les conditions de transfert des actifs entre entités de l’entreprise, notamment pour les brevets, les actifs immatériels permettant une forte optimisation fiscale (coûts importants de R&D localisés dans des pays à forte taxation, ce qui diminue la base imposable par exemple, puis transfert du brevet dans un pays à faible taxation quand le brevet commence à accroître le chiffre d’affaires). Ce volontarisme bruxellois a cependant suscité des résistances chez de nombreux ministres des finances, conduisant dans un premier temps l’Union européenne à viser uniquement la mise en application stricte des recommandations du plan BEPS, sans aller au-delà. Le risque, ici, est en effet de rendre l’Europe fiscalement moins avantageuse que tout autre continent, ce que n’ont pas manqué de souligner les entreprises européennes.

Depuis le 2 avril 2016, les révélations par le Consortium international des journalistes d’investigation (CIJI) au sujet des « Panama Papers », un ensemble de 11,5 millions de fichiers provenant du cabinet panaméen Mossack Fonseca, ont toutefois modifié la donne politique. Si ces révélations concernent d’abord des comptes cachés de personnalités, elles rappellent combien le recours à l’évasion fiscale est généralisé, nécessitant par conséquent une réaction forte. La Commission européenne a donc opté pour un renforcement en urgence de son projet de directive sur la transparence fiscale.

Présenté le 12 avril 2016, le projet de nouvelle directive rend obligatoire la publication du reporting pays par pays, une information qui était réservée, dans la première version, aux seules administrations fiscales des pays concernés. En rendant ces données publiques, la Commission mise sur la pratique britannique du « name and shame », qui révèle les pratiques abusives de certaines firmes aux citoyens, ces derniers étant également des consommateurs. Enfin, le projet de directive étend aux paradis fiscaux l’obligation du reporting pays par pays pour les multinationales réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires en Europe. Une liste noire européenne des paradis fiscaux devra toutefois être établie au préalable.

L’affaire des « Panama Papers » aura également facilité la conclusion d’un accord lors de la réunion de printemps des ministres des finances du G20, le 15 avril 2016. Alliés pour l’occasion, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni ont milité pour rendre concret l’échange d’informations entre pays tel que prévu dans le plan de l’OCDE, ce qui passera par l’établissement d’une liste des juridictions non coopératives, lesquelles devront être sanctionnées. Il a également été proposé d’établir dans chaque pays un registre des bénéficiaires des trusts, fondations et compagnies par actions. Ces propositions ont été reprises par les ministres des finances du G20, dont les Etats-Unis, qui s’engagent à se mobiliser. En effet, avec la loi Facta imposant la transmission des informations fiscales, les Etats-Unis étaient moins concernés par les travaux de l’OCDE, leur puissance leur permettant d’obtenir les informations fiscales dont ils avaient besoin auprès des pays tiers.

La Commission européenne tire les conséquences du LuxLeaks

Avant même l’adoption définitive du plan BEPS, la Commission européenne a fait la preuve de sa bonne volonté après les révélations du Luxembourg Leaks en novembre 2014, où le grand public a pour la première fois appris que quelque 340 entreprises avaient bénéficié de rescrits fiscaux (tax rulings) très avantageux de la part du Luxembourg. Le petit Etat européen, dont l’ancien Premier ministre n’est autre que l’actuel président de la Commission européenne, a ainsi ponctionné des recettes fiscales à ses grands voisins, moyennant une ristourne qui, en outre, conduit à favoriser les multinationales face aux PME sur le plan concurrentiel.

Ainsi, en moyenne, les PME ont une charge fiscale de 30 % supérieure à celle des multinationales en Europe. En réaction, la Commission européenne a présenté en urgence, le 18 mars 2015, un projet visant à amender la directive de 1977 sur « la coopération entre administrations fiscales », afin d’imposer la transparence sur les rescrits fiscaux en rendant obligatoire, à compter du 1er janvier 2016, l’échange d’informations entre Etats membres sur les rescrits fiscaux accordés à des entreprises ayant une activité transfrontalière.

La Commission européenne a en même temps proposé que ces déclarations portent sur les rescrits passés ces dix dernières années, pour les seuls rescrits encore effectifs. En avril 2015, les ministres des finances de l’Union européenne ont approuvé ces propositions et commencé à discuter des détails de leur application.

La directive sera finalement adoptée le 6 octobre 2015, mais dans une version moins contraignante. Les Etats doivent s’échanger les informations relatives aux rescrits fiscaux qu’ils passent avec des multinationales, mais ils n’ont plus à informer également la Commission européenne qui entendait vérifier leur compatibilité avec le droit de la concurrence, les rescrits fiscaux pouvant dans ce cas être qualifiés d’aides d’Etat illégales.

A titre d’exemple, la Commission européenne enquête sur le rescrit fiscal passé entre Apple et l’Irlande puisqu’il conduit Apple à ne payer que 2 % d’impôts pour l’ensemble de ses activités hors des Etats-Unis. Enfin, la rétroactivité du dispositif est limitée à cinq ans, et non dix ans comme la Commission européenne l’avait initialement souhaité.

Depuis 2016, le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique n’ont donc plus les moyens d’attirer les multinationales en leur promettant d’éviter l’impôt des grands pays européens sans que ces derniers sachent estimer les conséquences de l’optimisation fiscale légale mais agressive à leur égard. Le Monde, qui a récupéré les documents confidentiels du groupe de travail bruxellois baptisé « Code de conduite » a d’ailleurs révélé, en novembre 2015, combien ces quatre pays ont fait obstruction pendant plus de dix ans pour empêcher de rendre automatique et obligatoire l’échange d’informations sur les rescrits fiscaux.

La Commission enquête sur Amazon, McDonald’s, Apple…
et condamne Fiat, Starbucks et la Belgique

Les rescrits fiscaux avantageux et le secret ont pendant presque trente ans gouverné la stratégie des multinationales en Europe, alliées avec des Etats – paradis fiscaux prêts à les attirer à tout prix, y compris au détriment des autres Etats membres. Ainsi, le rescrit entre Apple et l’Irlande remonte à 1991. Souvent légaux et répondant à leur vocation, à savoir donner une visibilité fiscale à moyen terme aux multinationales, certains rescrits fiscaux pourraient toutefois se révéler abusifs et être requalifiés en aides d’Etat, une faille que la Commission européenne entend exploiter pour imposer là encore de meilleures pratiques.

Ainsi, après avoir lancé trois enquêtes en juin 2014 sur Apple en Irlande, sur Fiat au Luxembourg et sur Starbucks aux Pays-Bas (voir La rem n°33, p.12), la Commission européenne a récidivé en octobre 2014 en ouvrant une enquête sur Amazon au Luxembourg. La cinquième enquête menée par la Commission européenne est encore plus ambitieuse, puisque c’est le régime belge des « bénéfices excédentaires » qui fait l’objet, dans son ensemble, de l’enquête ouverte en février 2015, et non un accord particulier entre la Belgique et une multinationale. En décembre 2015, une sixième enquête a été ouverte concernant cette fois McDonald’s et le Luxembourg.

Les premiers verdicts ont été rendus le 21 octobre 2015 avec la condamnation de Fiat et de Starbucks, contraints de payer rétroactivement des impôts normalement dus et évités du fait de rescrits fiscaux abusifs. Concernant Fiat, un accord abusif avec le Luxembourg a été passé qui a permis à l’entreprise, par l’intermédiaire de sa filiale Fiat Finance and Trade, de ne pas payer entre 20 et 30 millions d’euros d’impôts de 2012 à 2014.

Concernant Starbucks, ce sont plutôt des pratiques abusives qui sont condamnées puisque la filiale néerlandaise de Starbucks a diminué sa base imposable, d’une part, en achetant à prix d’or des grains de café fournis par la filiale de Starbucks en Suisse, et d’autre part, en payant très cher l’exploitation d’une licence pour la torréfaction à une autre filiale de Starbucks au Royaume-Uni.

Pour la Commission, les prix de transfert, en étant non corrélés à ceux constatés sur le marché, ont été détournés concernant l’achat des grains ; la redevance payée pour la torréfaction n’est rien d’autre qu’un moyen de limiter sa base imposable puisque ce type de redevance n’existe nulle part ailleurs. Si la sanction n’est pas forte, puisqu’elle consiste à obliger les entreprises à payer les impôts normalement dus, elle est importante dans la mesure où elle devrait dégrader l’attractivité fiscale de certaines méthodes (prix de transfert, redevance pour propriété intellectuelle) et de certains pays.

Le 11 janvier 2016, la Commission européenne a condamné la Belgique pour dispositif fiscal illégal concernant le régime des « bénéfices excédentaires ». Imaginé en 2004, celui-ci permettait à toute filiale belge de multinationale de déduire de sa base imposable la part de chiffre d’affaires liée à son appartenance à une multinationale, c’est-à-dire la part de chiffre d’affaires liée aux économies d’échelle, à l’exploitation de marques, etc., soit jusqu’à 90 % du chiffre d’affaires, ce qui revient concrètement à favoriser les multinationales au détriment des entreprises locales.

Pour la Commission européenne, ce sont ainsi 700 millions d’euros d’impôts que les filiales belges des multinationales n’ont pas payé depuis 2005, le régime des bénéfices excédentaires étant dénoncé par Margrethe Vestager comme une « carte blanche à la double non-imposition », et non comme un moyen d’éviter une double imposition, ce principe étant un fondement du système fiscal international. Les sociétés concernées par ce dispositif d’optimisation fiscale sont principalement des grands groupes européens.

Les multinationales revoient leurs pratiques et négocient avec les services fiscaux

L’offensive européenne contre l’optimisation fiscale se traduit également dans le comportement des multinationales, et notamment des GAFA, qui font l’objet d’une attention particulière de plusieurs gouvernements, le secteur se prêtant particulièrement à l’optimisation fiscale (échanges immatériels transnationaux via l’internet, rôle central de la propriété intellectuelle) ainsi qu’aux abus de position dominante. Concernant la seule fiscalité, plusieurs initiatives témoignent d’un changement radical de stratégie des multinationales.

Parmi ces initiatives, celle d’Amazon est sans doute la plus symbolique puisque le groupe, en dehors de toute négociation et de toute condamnation, a annoncé, le 24 mai 2015, avoir réorganisé ses activités en Europe afin de comptabiliser ses ventes pays par pays, ce qui met fin au rapatriement du chiffre d’affaires vers le Luxembourg. Depuis le 1er mai 2015, Amazon enregistre ses ventes directement au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie, les autres pays européens devant être progressivement concernés, ce qui conduira Amazon à payer des impôts sur le lieu de réalisation de son chiffre d’affaires. Toutefois, Amazon affiche très peu de bénéfices en dehors des Etats-Unis, et il n’est pas sûr qu’il soit rentable dans chaque pays européen où il opère. Peut-être l’ouverture de l’enquête sur Amazon et l’Etat luxembourgeois en décembre 2014 a-t-elle précipité cette décision.

Il reste que l’initiative du groupe de e-commerce marque un tournant, depuis suivi par Facebook en Europe. Le 5 mars 2015, le réseau social, dont le chiffre d’affaires européen remonte vers le siège irlandais, a annoncé que les recettes publicitaires issues de ses grands annonceurs au Royaume-Uni y seraient désormais déclarées afin d’y être taxées. A vrai dire, depuis l’imposition d’une taxe sur les profits détournés des multinationales en décembre 2014 (voir La rem n°33, p.12), le Royaume-Uni menace directement les GAFA de sanctions. La situation est en effet ubuesque et les géants de l’internet risquent, à trop optimiser leur fiscalité via l’Irlande et les paradis fiscaux caribéens, de s’attirer les foudres de leurs utilisateurs. Facebook, qui contrôle l’essentiel du marché publicitaire display sur mobile, n’a payé en 2014 que 4 327 livres d’impôts au Royaume-Uni, soit 5 600 euros.

Quand l’initiative n’est pas spontanée, elle est aussi et de plus en plus souvent imposée par les Etats qui négocient notamment avec le plus puissant des GAFA, à savoir Google. L’entreprise est l’une des spécialistes du « double irlandais », autrement qualifié de « sandwich néerlandais », qui consiste à intercaler une société néerlandaise entre deux sociétés irlandaises.

Dans un premier temps, le chiffre d’affaires remonte vers l’Irlande. A ce stade, le chiffre d’affaires a disparu en grande partie des pays où Google a réalisé son activité pour être localisé en Irlande, où l’impôt sur les bénéfices est le plus faible. Dans un deuxième temps, le transfert des trois quarts du chiffre d’affaires irlandais vers les Pays-Bas sous forme de redevance pour propriété intellectuelle permet d’amoindrir fortement la base taxable de Google en Irlande.

Or, aux Pays-Bas, les revenus issus de la propriété intellectuelle sont exonérés d’impôts. Dans un troisième temps, les revenus désormais localisés aux Pays-Bas remontent sous forme de redevance vers l’Irlande dans une société hybride dont la direction est aux Bermudes, ce qui permet d’appliquer à ces revenus la fiscalité du paradis des Caraïbes. Or, la fiscalité est nulle dans ce cas puisque les bénéfices des sociétés non résidentes n’y sont pas imposés.

Parce qu’elle est de plus en plus connue et dénoncée, cette technique, qui permet à Google de respecter les règles fiscales tout en exploitant leurs failles, finit par menacer la firme. Ainsi Google a-t-il préféré s’accorder avec le fisc britannique, en janvier 2016, afin de normaliser sa situation fiscale pour la période 2005-2015. Google accepte de payer 172 millions d’euros d’arriérés d’impôts pour solde de tout compte (contre 20 millions d’impôts sur l’exercice 2013) et s’engage désormais à déclarer au Royaume-Uni les revenus publicitaires de ses annonceurs locaux (près de 5 milliards d’euros).

Pour autant, le dispositif du « sandwich néerlandais » est maintenu, l’accord avec le fisc faisant ici débat puisqu’il valide les pratiques d’optimisation fiscale. Sitôt l’information connue, la presse faisait savoir que le fisc italien a réclamé de son côté 227,5 millions d’euros d’arriérés d’impôts à Google. En France, le fisc a été encore plus ambitieux puisqu’il envisagerait de réclamer à Google le paiement de 1,6 milliard d’euros d’arriérés d’impôts, plus de dix fois le montant payé par Google pour régler ses litiges avec le fisc britannique, une enquête pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée ayant été ouverte le 16 juin 2015. Google n’est pourtant pas l’unique cible des services fiscaux en Europe. Fin 2015, Apple a ainsi soldé ses comptes avec le fisc italien pour la période 2011-2013 moyennant un versement de 318 millions d’euros.

Enfin, le panorama ne serait pas complet sans les Etats-Unis. Berceau des GAFA, le pays voit pourtant l’essentiel des revenus échapper à toute imposition. En effet, en imposant la totalité des bénéfices, y compris ceux réalisés à l’étranger, dès lors qu’ils sont rapatriés sur le sol américain, les Etats-Unis favorisent la constitution de stocks de liquidités en dehors du territoire. Ainsi, Apple stocke l’essentiel de ses profits à l’étranger, soit 130 milliards de dollars en 2014.

En tout, ce sont 2 000 milliards de dollars que les entreprises américaines laissent à l’étranger, ce qui les incite d’ailleurs à racheter des cibles étrangères avec ce pactole, plutôt que de chercher à investir aux Etats-Unis. Pour remédier à cette situation, Barack Obama a proposé dans son projet de loi de finances 2015 une taxe de 14 % sur les profits stockés à l’étranger, payable une seule fois et faisant office de régularisation du passé, complétée ensuite par une taxation à 19 %, et non 35 %, des revenus réalisés à l’étranger. Las, le projet de loi n’a pas été validé par les deux chambres américaines, les républicains s’y étant opposés.

Sources :

  • « Entreprises : Obama part en guerre contre les évadés fiscaux », Lucie Robequain, Les Echos, 3 février 2015. 
  • « Optimisation fiscale : Bruxelles met en accusation la Belgique », Renaud Honoré, Les Echos, 4 février 2015. 
  • « Bruxelles dévoile son arsenal contre l’optimisation fiscale des multinationales », Anne Bauer, Les Echos, 17 mars 2015. 
  • « Amazon pourrait bientôt payer des impôts en France », Philippe Bertrand, Thibaut Madelin, Les Echos, 26 mai 2015. 
  • « Le plan de Bruxelles pour mettre de l’ordre dans la fiscalité des entreprises en Europe », Anne Bauer, Les Echos, 12 juin 2015. 
  • « Le plan de l’OCDE pour empêcher les multinationales d’échapper à l’impôt », Richard Hiault, Les Echos, 6 octobre 2015. 
  • « En frappant Fiat et Starbucks, Bruxelles veut stopper l’optimisation fiscale débridée », Gabriel Grésillon, Les Echos22 octobre 2015.
  • « Comment l’Europe a louvoyé durant dix ans sur l’évasion fiscale », Cécile Ducourtieux et Anne Michel, Le Monde8 novembre 2015.
  • « Evasion fiscale : Bruxelles lance une enquête sur les pratiques de McDo », Gabriel Grésillon, Les Echos, 4 décembre 2015. 
  • « Evasion fiscale : Amazon, Apple et McDo dans le viseur de Bruxelles », Gabriel Grésillon, Les Echos, 29 décembre 2015. 
  • « L’Italie condamne Apple pour fraude fiscale », F. Sc., Les Echos, 31 décembre 2015. 
  • « La « Dame de fer » de l’Europe condamne la Belgique pour ses pratiques fiscales », Gabriel Grésillon, Les Echos, 12 janvier 2016. 
  • « L’accord de Google avec le fisc britannique sous le feu des critiques », V.C., Les Echos, 25 janvier 2016.
  • « Evasion fiscale : la nouvelle offensive de Bruxelles », Gabriel Grésillon, Les Echos, 27 janvier 2016. 
  • « Comment Google optimise sa fiscalité », N.S., Les Echos22 février 2016.
  • « Les Panama Papers révèlent l’impuissance des Etats face aux paradis fiscaux », Anne Cheyvialle, Le Figaro, 7 avril 2016. 
  • « La Commission européenne durcit sa directive sur la transparence fiscale », R. Ho., Les Echos, 12 avril 2016. 
  • « Le G20 va établir une liste de pays « non coopératifs » contre la fraude fiscale », Richard Hiault, Les Echos, 18 avril 2016. 
  • « Perquisition chez Google France sur des soupçons de fraude fiscale », Nicolas Richaud, Les Echos, 25 mai 2016.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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