Amazon condamné à 4 millions d’euros d’amende par le tribunal de commerce de Paris

Le tribunal de commerce de Paris a prononcé une amende de 4 millions d’euros à l’encontre d’Amazon pour pratiques restrictives de concurrence à l’égard des entreprises utilisant sa plateforme de vente.

Le développement des marketplaces présente un intérêt certain pour les consommateurs comme pour les entreprises. Les premiers bénéficient d’une plus grande sélection de produits et de services, dont ils peuvent plus aisément comparer les différentes offres. Les seconds profitent de la visibilité que leur garantit la plateforme, ainsi que d’un réseau de distribution supplémentaire par rapport à leur propre service. Pour ces raisons, le modèle des marketplaces a pu être qualifié de « gagnant-gagnant1 ». Elles sont ainsi devenues des acteurs incontournables dans le secteur du commerce électronique, tout comme les réseaux sociaux sont devenus de nouvelles places publiques pour l’échange d’informations (voir La rem, n°44, p.62). Le règlement européen du 20 juin 2019 rappelle que ces services « peuvent être déterminants pour le succès commercial des entreprises qui y font appel pour entrer en contact avec les consommateurs »2. Pour autant, ce succès place les partenaires des marketplaces dans une situation de dépendance économique.

La marketplace Amazon, concurrente de ses propres partenaires

Le constat nous interpelle d’autant plus que certaines places de marché développent leurs propres offres et réseaux de distribution pour des produits et services identiques à ceux proposés par les entreprises qui utilisent leurs services. On rappellera également qu’elles touchent une commission sur les ventes réalisées par ces vendeurs partenaires. L’Autorité de la concurrence avait déjà attiré l’attention sur les dangers inhérents à ce modèle, ces plateformes disposant d’un avantage concurrentiel non négligeable qui peut peser dans les relations avec les entreprises tierces3. Des conditions inéquitables peuvent ainsi leur être unilatéralement imposées, ce qui renforce les risques d’abus de position dominante.

La plateforme Amazon, pionnière dans ce modèle économique, présente justement de tels risques, puisqu’elle se trouve à la fois partenaire et concurrente des fournisseurs et des vendeurs qui utilisent ses services. Des pratiques sectorielles du géant américain avaient déjà pu être dénoncées par le passé, notamment en ce qui concerne le marché des livres numériques. L’application de la clause de « nation la plus favorisée » lui permettait en effet de bénéficier systématiquement des meilleures conditions offertes par les éditeurs, ce qui réduisait les possibilités d’offres fournies par des plateformes concurrentes (voir La rem, n°42-43, p.5).

Plus récemment, ce sont les clauses imposées par Amazon aux entreprises utilisant sa marketplace qui ont été mises en cause par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) dans une enquête menée entre 2015 et 2016. Cela lui a valu une amende de 4 millions d’euros prononcée par le tribunal de commerce de Paris, dans un jugement du 2 septembre 20194.

Un déséquilibre significatif entre la marketplace Amazon et ses partenaires

Les poursuites ont été engagées par le ministre de l’économie et des finances, à la suite de l’enquête précitée, sur le fondement de l’article L 446-2 du code du commerce, dans sa version alors en vigueur. Celui-ci disposait que le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » constituait une pratique restrictive de concurrence pouvant engager la responsabilité de son auteur, le ministre pouvant également demander le prononcé d’une amende civile d’un montant maximum de 5 millions d’euros.

Le tribunal a dans un premier temps constaté la position dominante dont dispose la plateforme Amazon dans le marché du commerce électronique, qualifiant même celle-ci de « superstar » de l’internet. L’utilisation de ses services est en effet devenue incontour­nable pour bon nombre de petits vendeurs tiers qui souhaitent bénéficier d’un effet de réseau, les alternatives ne garantissant nullement un même niveau de qualité ni une même richesse de fonctionnalités. Le critère de soumission, exigé par l’article précité, est donc vérifié. Cela a conduit le tribunal à analyser onze clauses figurant dans les contrats passés par Amazon pour l’utilisation de sa plateforme, étant précisé que ceux-ci ne sont nullement négociables par les partenaires. Sept d’entre elles révèlent un déséquilibre significatif dans les relations entre les parties.

Tel est le cas notamment de celle qui permet à Amazon de modifier unilatéralement ses conditions d’utilisation sans avoir à informer préalablement ses partenaires, y compris lorsque ces modifications portent sur des éléments essentiels (tel le pourcentage des commissions prélevées). Il en est de même pour les clauses permettant d’exclure temporairement ou définitivement un partenaire de la plateforme. Sans surprise, la clause selon laquelle Amazon peut mettre un terme à la relation à sa seule discrétion et sans préavis est considérée comme abusive. Quant à celle qui permet d’infliger une « suspension-sanction » du compte, le tribunal déplore le manque de précision quant aux motifs que peut invoquer la plateforme et, une fois encore, l’absence d’information préalable et de préavis à l’égard du partenaire sanctionné. De la même manière, les clauses relatives aux indices de performance, qui permettent d’évaluer un vendeur, sont rédigées de manière générale, évoluent de manière instable et donnent lieu à une appréciation discrétionnaire. Sur ce point, le tribunal mentionne le témoignage d’un vendeur dont la note globale a été brutalement baissée à la suite d’une demande d’explications auprès des services d’Amazon.

Ces différentes clauses, dont la portée n’est pas négociée, exposent les vendeurs à de grandes incertitudes et à des risques commerciaux considérables en cas de rupture unilatérale. L’argument selon lequel ces clauses sont nécessaires pour garantir la qualité du service rendu aux consommateurs est sans incidence sur ce constat. D’autres clauses ambiguës, notamment relatives à la propriété intellectuelle (usage des marques des vendeurs par Amazon) et aux exonérations de responsabilité ont néanmoins été jugées équilibrées par le tribunal. Il a par ailleurs été tenu compte de la « bonne foi » d’Amazon, qui a spontanément modifié certaines stipulations dès 2017. Au vu de tous ces éléments, l’amende civile a été portée à quatre millions d’euros, en dépit des demandes du ministre, Amazon devant également modifier les sept clauses litigieuses.

Perspectives européennes

Le tribunal ne manque pas de mentionner le nouveau règlement relatif à l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne. À ce titre, le fait que l’entrée en vigueur de ce texte intervienne à une date ultérieure n’interdit pas au tribunal de prononcer dès maintenant les mesures précitées.

Plusieurs des pratiques condamnées dans le jugement du 2 septembre seront également interdites par le règlement. Ainsi, l’article 3, qui encadre la rédaction et la présentation des conditions d’utilisation des marketplaces, impose à celles-ci, en cas de modification, de respecter un délai de préavis raisonnable, qui ne pourra être inférieur à quinze jours, les entreprises partenaires pouvant le cas échéant rompre la relation. L’article 4 établit les conditions dans lesquelles une plateforme pourra décider de suspendre ou de résilier le compte d’une entreprise. Un exposé des motifs précis devra notamment lui être communiqué au moins trente jours avant la prise d’effet de la sanction. Un principe de transparence des services de classement et de référencement est également établi par l’article 5. Enfin, un système interne de traitement des plaintes (article 11) et le recours à des médiateurs (article 12) pourront le cas échéant permettre aux plateformes et à leurs partenaires de régler tout différend quant à l’utilisation des services de la marketplace.

Sources :

  1. Droit du e-commerce et du marketing digital, Romain V. Gola, Gualino, 2019, p. 42.
  2. Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, Journal officiel de l’Union européenne (JOUE), 11 juillet 2019.
  3. Autorité de la concurrence, Avis n° 12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique, §§ 149-151.
  4. T. Com. Paris, 1re Ch., 2 septembre 2019, M. le Ministre de l’Economie et des Finances c./Amazon
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et directeur adjoint du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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