Marché du livre numérique : les nouveaux engagements d’Amazon

Accusé de pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la distribution des livres numériques, Amazon a revu sa copie et proposé de modifier ses accords avec les éditeurs. Ces engagements viennent d’être acceptés par la Commission européenne.

Google n’est pas le seul parmi les GAFA à s’être mis à dos la Commission européenne (voir La rem n°38-39, p.25 et n°40, p.14). Les pratiques commerciales d’Amazon sur le marché des livres numériques ont également appelé l’attention, éveillant les mêmes soupçons d’abus de position dominante. Des clauses restrictives dans ses accords avec les éditeurs ont ainsi pu être critiquées ; elles ont justifié le déclenchement d’une enquête en juin 20151. L’entreprise vient finalement de proposer plusieurs engagements censés écarter tout risque de pratiques anticoncurrentielles, échappant ainsi à une amende qui aurait pu atteindre jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires.

Les clauses restrictives figurant dans les accords passés par Amazon avec les éditeurs

Amazon occupe actuellement la première place sur le marché européen de la distribution de livres numériques. On sait que ses relations avec certains éditeurs, comme Hachette, ont pu être particulièrement tendues, notamment au niveau de sa politique tarifaire. Ces tensions apparaissent aussi au niveau des accords que l’entreprise passe avec les éditeurs. Certaines clauses, dites de la « nation la plus favorisée », lui permettraient de renforcer sa position de leader par rapport aux autres plates-formes. En effet, elles obligeraient les éditeurs à informer Amazon de l’offre de conditions plus favorables ou différentes accordées à ses concurrents ou à lui accorder ces mêmes conditions. Les éditeurs seraient donc tenus d’aligner leur offre, en suivant une règle de parité des modèles commerciaux, afin que l’entreprise bénéficie des meilleures conditions, chaque fois que cela serait possible. En cascade, cette obligation de parité concernerait la sélection des livres proposés aux distributeurs, les fonctionnalités qui leur sont associées, les prix d’agence de base, ainsi que les prix d’agence et prix de gros promotionnels. Enfin, Amazon bénéficierait aussi d’une réserve de crédits qu’il pourrait utiliser à sa guise pour appliquer un rabais sur le prix d’agence d’un livre numérique qui lui est proposé par un éditeur.

Si ces clauses n’interdisent pas de proposer les mêmes conditions à au moins un concurrent d’Amazon, elles risquent néanmoins de réduire la capacité globale des plates-formes à proposer des services alternatifs, qui peuvent être plus innovants ou performants, voire à accéder au marché de la distribution des livres numériques. Par voie de conséquence, les possibilités de choix des consommateurs s’en trouveraient réduites. De telles pratiques tomberaient donc sous le coup des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdisent les accords anticoncurrentiels et les abus de position dominante, raison pour laquelle la Commission s’est saisie du dossier. Le règlement n° 1/2003 laisse cependant aux entreprises visées par une enquête la possibilité de proposer des engagements susceptibles de remédier aux griefs qui leur sont adressés2. Amazon a souhaité profiter de cette opportunité dans le cas présent.

Les nouveaux engagements d’Amazon envers les éditeurs

Bien que contestant ce qu’il tient pour des allégations de la part de la Commission, Amazon entend finalement renoncer aux pratiques litigieuses et a proposé plusieurs engagements, dont la durée serait de cinq ans.

Tout d’abord, les différentes clauses de parité ne seraient plus appliquées auprès des partenaires actuels de la plate-forme, lesquels en seront informés très rapidement. Par ailleurs, les clauses imposant la parité, que celle-ci soit ou non liée au prix, seront retirées des contrats à venir avec de nouveaux éditeurs ; il en est de même avec la clause d’information. Enfin, Amazon laisserait aux éditeurs la possibilité de résilier tout contrat qui comporterait une clause de réserve de crédits dans un délai de 120 jours, pour quelque motif que ce soit. Ces engagements ont été acceptés par la Commission le 4 mai 2017, ce qui les rend désormais contraignants et justifie la fin de l’enquête engagée il y a deux ans. Cette conciliation, qui a déjà pu être saluée, s’ajoute à d’autres compromis acceptés par certains GAFA.

On rappellera ainsi qu’Amazon et Apple ont également renoncé à leur accord d’exclusivité sur la distribution des livres audio en début d’année. Cette preuve de bonne volonté servira-t-elle aussi à adoucir l’attitude de la Commission vis-à-vis d’Amazon concernant ses pratiques fiscales ?

Sources :

1 Communication de la Commission publiée conformément à l’article 27, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil dans l’affaire AT.40153 – Clauses de la nation la plus favorisée relatives aux livres numériques et questions connexes, JOUE, 26 janvier 2017.

2 Art. 9 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.

 

Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et rattaché au Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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