Respect de l’exception culturelle : deux rapports sur la proposition de résolution européenne de Mme Danielle Auroi et de M. Patrick Bloche

Le 13 mars 2013, la Commission européenne a adopté un projet de mandat de négociation favorable à l’intégration des services audiovisuels dans la perspective de la reprise des pourparlers entre l’Europe et les Etats-Unis concernant un accord de libre-échange (intitulé « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique »). Les Etats-Unis souhaitent, quant à eux, qu’aucun secteur économique ne soit exclu des négociations commerciales. « Nous devons à tout prix éviter d’enlever des questions de la table avant le début des négociations » explique Karel De Gucht, commissaire européen au commerce.

A la suite d’un rapport rédigé par sa présidente, la députée Danielle Auroi, la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a adopté le 11 avril 2013 une proposition de résolution européenne défendant l’exception culturelle. La commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a approuvé à son tour cette résolution le 17 avril 2013, après la présentation par son président, le député Patrick Bloche, d’un rapport défendant le même point de vue. Les deux commissions parlementaires invitent ainsi le gouvernement à demander l’exclusion explicite des services audiovisuels du mandat de négociation qui sera bientôt conféré à la Commission européenne.

Le premier rapport de la députée Danielle Auroi revient sur la genèse du terme « exception culturelle », « une notion floue et juridiquement imprécise » apparue à la fin des négociations de l’Uruguay Round (1986-1994) qui a conduit à la création de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), indiquant que « sous ce vocable est née la résistance d’un certain nombre de pays, sous l’égide de la France, à soumettre les secteurs culturels et audiovisuels à une libéralisation des échanges ». L’expression « diversité culturelle » est employée pour la première fois à l’occasion de la signature par les ministres des affaires étrangères de la déclaration franco-mexicaine sur la diversité culturelle de novembre 1998. Elle entre dans le vocabulaire juridique en novembre 2001 avec l’adoption par l’Unesco de la « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » qui deviendra la « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », adoptée en octobre 2005.

Si tous les pays membres de l’Union européenne ont adhéré, en décembre 2006, à cette convention entrée en vigueur en mars 2007, les Etats-Unis ont jusqu’à ce jour refusé de la signer. Parmi les objectifs qu’il définit pour l’Union européenne, le traité de Lisbonne de décembre 2009 comprend la protection de la diversité culturelle. Mais surtout il offre la possibilité aux Etats membres de recourir à la prise de décision à l’unanimité – donc de déroger au principe du vote à la majorité qualifiée – lorsque la diversité culturelle et linguistique de l’Union est menacée par des accords commerciaux. N’ayant encore jamais été utilisée, cette disposition (article 207 du traité) offre par conséquent à la France un droit de veto.

Le rapport rappelle également que le principe de la protection de la diversité des expressions culturelles se trouvait déjà inscrit dans la directive Télévision sans frontières de 1989, imposant la diffusion d’un quota d’œuvres audiovisuelles européennes. Révisée en 2010 et rebaptisée Services et médias audiovisuels (SMA), cette directive prend en compte les évolutions technologiques concernant la diffusion des œuvres audiovisuelles, reconnaissant ainsi le principe de la neutralité technologique sans distinguer les services audiovisuels traditionnels de ceux délivrés par Internet. Le rapport insiste sur l’importance d’exclure explicitement l’ensemble des services audiovisuels, traditionnels et en ligne, du mandat de négociation de l’Union européenne, « afin que l’inclusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication ne soit pas un moyen détourné de libéraliser les services audiovisuels de nouvelle génération amenés à se développer ».

Si les négociations devaient s’engager sur la libéralisation du secteur de l’audiovisuel, le rapport de force serait déséquilibré, selon la députée Danielle Auroi, notant que la France est le marché qui résiste le mieux à la domination commerciale des productions cinématographiques américaines. Les industries du divertissement sont un secteur important dans l’économie américaine, réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 95 milliards de dollars en 2010, dont plus de 80 % sont générés par le secteur de l’audiovisuel et 16 % par la musique. Représentant 2 millions d’emplois, le secteur de la production et de la distribution de films est l’un des seuls à connaître une balance commerciale excédentaire en 2010. Les ventes internationales représentaient près de 70 % des recettes totales des films américains en 2011, contre 50 % en 2001. Entre 2011 et 2012, la distribution de contenus en ligne a augmenté de près de 30 % aux Etats-Unis, pour un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards de dollars.

Dans le second rapport, le député Patrick Bloche déplore que la Commission européenne s’apprête, pour la première fois depuis vingt ans, à « renoncer à une part essentielle de l’identité européenne qui est celle de la culture comme un bien commun échappant à la logique des marchés ». Détaillant les enjeux du respect de l’exception culturelle, il indique notamment qu’il en va de la préservation de notre modèle culturel fondé sur plusieurs éléments de l’action publique : l’accès à la culture pour tous, le soutien aux créateurs, la structuration d’une activité économique de la création et la promotion de la diversité dans la création qui s’appuient sur des mécanismes réglementaires ou financiers.

Ainsi, dans le périmètre des activités couvertes par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui gère un fonds de soutien d’un montant de 700 millions d’euros, la valeur ajoutée créée est estimée à près de 30 milliards d’euros, soit environ 1,5 % du PIB national et à environ 340 000 emplois, indique le rapport. Au niveau européen, les secteurs de l’audiovisuel et de la culture représentent 3,3 % du PIB et 3 % des emplois (6,7 millions).

Le marché mondial de l’audiovisuel est largement dominé par les Etats-Unis qui détiennent 54,5 % de part de marché contre 25,5 % pour l’Europe, qui est, par ailleurs, le premier importateur de services audiovisuels et absorbe 60 % des exportations américaines dans ce secteur. Désormais quatre acteurs américains, Google, Amazon, Facebook et Apple (les « GAFA ») dominent le marché de la distribution numérique des contenus. « Afin d’accentuer leur domination, ces acteurs apprécieraient certainement un affaiblissement des régulations mises en œuvre en Europe dans le secteur audiovisuel et ne négligeraient pas non plus l’éventualité d’un accès aux aides et soutiens prévus par les dispositifs européens en cas d’application d’un principe d’égalité de traitement lié au libre-échange », écrit Patrick Bloche. Le député invite également à réfuter l’argument selon lequel l’exception culturelle serait une notion dépassée à l’ère du numérique en raison de l’abolition supposée des frontières nationales par les nouvelles technologies, militant pour que « les outils » de l’exception culturelle soient préservés, comme le régime fiscal du livre, la réglementation en matière d’audiovisuel (obligations de production et de diffusion, chronologie des médias), le financement de la création cinématographique et audiovisuelle par la contribution de l’ensemble des diffuseurs y compris sur Internet, la défense du principe des droits d’auteur et de la gestion collective, le financement de la création dans le domaine de la musique et du spectacle vivant avec le mécanisme de la copie privée.

Si la Commission des affaires européennes a souhaité, pour des raisons de rigueur juridique, faire référence dans le titre de la résolution uniquement à « la diversité des expressions culturelles », Patrick Bloche a tenu, quant à lui, à préserver une dimension symbolique, en demandant à ce que soient insérés les mots « exception culturelle ».

NDLR : Le 25 mai 2013, le Parlement européen a voté – par 381 voix contre 191– l’amendement prévoyant l’exclusion des services culturels et audiovisuels, y compris en ligne, du mandat de la Commission européenne, lequel doit être adopté par les Etats membres mi-juin 2013. Les députés européens ont ainsi approuvé la démarche soutenue par quinze ministres de la culture européens mais à ce stade leur vote n’est que consultatif. Le Parlement européen validera ou non les décisions prises à la suite des tractations entre l’Europe et les Etats-Unis qui auront lieu au cours des prochaines années. « On ne va pas raconter qu’on va faciliter le commerce de machines à laver, de chaussettes et d’oranges. Ce qui se négocie, ce sont des choix de société construits démocratiquement », a déclaré l’eurodéputé Yannick Jadot (La Correspondance de la Presse, 24 mai 2013).

Respect de l’exception culturelle : deux rapports sur la proposition de résolution européenne de Mme Danielle Auroi et de M. Patrick Bloche, faits, l’un, au nom de la Commission des affaires européennes et l’autre, au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, Assemblée nationale, 11 et 17 avril 2013

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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