La loi d’orientation des mobilités

Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 : de l’ouverture des données de mobilité au statut des travailleurs des plateformes.

« Héritière de la politique d’équipement du pays au cours des Trente Glorieuses, la politique de l’État en matière de transports s’est souvent limitée à une politique de grandes infras­tructures qui permettent de se déplacer plus vite et plus loin. Cette politique n’a pourtant pas suffi à répondre aux attentes de nos concitoyens pour leur mobilité. » Tel a été le bilan général de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation des mobilités, publiée en novembre 20181. Le rapport établit différents constats quant à l’inadaptation de l’offre de transport actuelle, les problématiques étant variables en fonction des zones desservies. Si les grands axes routiers des zones urbaines subissent des phénomènes de congestion de plus en plus fréquents et importants, les zones rurales souffrent d’un manque de diversité dans l’offre de transport, et surtout d’alternatives à l’utilisation de l’automobile.

Le rapport pointe la nécessité d’encadrer le développement de formes de mobilité partagées (covoiturage, autopartage, vélos ou voitures en libre-service…) reposant sur l’utilisation de services de communication numérique. La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités entend ainsi réorganiser les transports en France au regard de plusieurs ambitions : assurer la transition écologique ; améliorer la gouvernance des mobilités et leur adéquation aux besoins quotidiens des citoyens, des territoires et des entreprises ; lutter contre les exclusions et renforcer l’accessibilité aux transports ; réussir la révolution numérique des mobilités afin de garantir un plus grand choix de transports aux citoyens.

Ce dernier point s’articule notamment autour de deux objectifs : l’ouverture des données et l’encadrement des nouvelles formes de mobilité. Certaines dispositions de la loi ont néanmoins donné lieu à une censure partielle de la part du Conseil constitutionnel.

L’ouverture des données nécessaires au développement des services numériques de mobilité

En conformité avec le règlement délégué UE du 31 mai 20172, la loi d’orientation des mobilités modifie plusieurs dispositions du code des transports afin de garantir l’ouverture des données nécessaires au développement des services numériques de mobilité.

L’objectif est d’assurer une meilleure visibilité et disponibilité en temps réel des informations relatives aux services de transports multimodaux. Il participe plus généralement au développement des villes intelligentes (voir La rem n°50-51, p.78), dont le fonctionnement suppose de pouvoir traiter en temps réel un très grande nombre de données afin d’assurer une meilleure gestion des espaces urbains et plus particulièrement des déplacements de populations3. À ce titre, le domaine des transports a été l’un des premiers à être appréhendés4, notamment au regard des problématiques précitées. Des services innovants, tant publics que privés, pourront ainsi être proposés afin de cartographier les solutions de transport proposées dans un espace donné, repérer et anticiper les points d’engorgement, établir de meilleurs plans de circulation ou encore garantir aux citoyens un accès facilité aux offres de transport et de stationnement disponibles en fonction de leur localisation et de leur point de destination. De tels objectifs supposent que le plus de données possible soient rendues disponibles et exploitables tant par les pouvoirs publics que par les entreprises privées ayant développé une activité numérique dans le secteur des transports.

C’est pourquoi le nouvel article L 1111-5 du code des transports dispose que les autorités publiques telles que l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics doivent rendre accessibles et réutilisables « les données statiques et dynamiques sur les déplacements et la circulation ainsi que les données historiques concernant la circulation ». Il en est de même pour les fournisseurs de services de partage de véhicules et autres engins de déplacement personnel, ceux-ci disposant d’une grande quantité de données relatives aux déplacements et à la localisation desdits véhicules. Les données relatives aux points de recharge des véhicules électriques ou hybrides (localisation, puissance, modalités de paiement…), ainsi que celles des services de covoiturage sont également concernées.

Si les nouvelles dispositions du code mention­nent déjà quelques exemples des catégories de données, l’annexe du règlement cité en date du 31 mai 2017 en établit une liste complète, en fonction des différents niveaux de services sollicités (recherche et calcul d’itinéraires, recherche de stations et disponibilité de véhicules et de vélos partagés, localisation des parcs de stationnement, données tarifaires des différentes offres de transport dans un lieu donné, perturbations et informations de trafic en temps réel…). Ces ensembles de données doivent être régulièrement mis à jour et mis aux normes du point d’accès national prévu par le règle­ment (art. L 1115-2). Celui-ci est censé garantir un accès unique à ces informations ainsi qu’à des services de recherche et de consultation à l’attention des utilisateurs. Pour la France, le site https://transport.data.gouv.fr/ centralise déjà de nombreux jeux de données de transport et il est voué à s’enrichir de tous ceux visés par la loi d’orientation des mobilités.

Au-delà, la loi donne à l’Autorité de régulation des transports une mission de contrôle de la conformité des données disponibles aux exigences du règlement délégué, notamment pour ce qui concerne la mise à jour et l’exactitude des informations. Elle peut également être saisie par toute autorité administrative ou entreprise visée par le code, ou par un utilisateur, de tout différend relatif à la mise en œuvre de l’ouverture des données. On notera aussi que l’article L 1115-3 du code prévoit la possibilité d’exiger une compensation financière dans le cadre des licences de réutilisation des données, les critères de détermination de celle-ci étant renvoyés à un décret en Conseil d’État. Le règlement, en son article 8, rappelle que la réutilisation des données doit être autorisée sur une base non discriminatoire, la compensation financière se devant d’être raisonnable et proportionnée aux coûts légitimes engendrés par la collecte et la fourniture des données.

In fine, la loi d’orientation des mobilités contribue, dans le domaine des transports, à l’objectif d’ouverture des données publiques (open data), instauré par la directive UE du 17 novembre 20035. On relèvera d’ailleurs que la nouvelle directive relative à l’ouverture et la réutilisation des informations du secteur public, en date du 20 juin 20196, crée une catégorie spécifique de données dites « à forte valeur », parmi lesquelles figurent les données de mobilité. On entend par là les données dont la réutilisation implique « d’importantes retombées positives au niveau de la société, de l’environnement et de l’économie », tant au regard des services à valeur ajoutée auxquels elles peuvent se prêter que du nombre de bénéficiaires potentiels. La directive précise que ces ensembles de données doivent pouvoir être réutilisés avec le minimum de contraintes légales, et notamment être fournis gratuitement et sous un format lisible par machine. La Commission est par ailleurs habilitée à prendre des actes d’exécution destinés à préciser le régime juridique de ces ensembles de données à forte valeur.

La qualification de la relation entre les plateformes de mise en relation et leurs travailleurs

D’autres dispositions de la loi ont pour objectif d’encadrer le statut des travailleurs ayant recours à une plateforme pour exercer une activité de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur ou de livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues.

On pense bien sûr aux services de mise en relation avec un chauffeur comme Uber, ou aux services de livraison tels que Deliveroo. Si la relation entre les travailleurs et les plateformes est réputée être indépendante, les tribunaux peuvent parfaitement requalifier celle-ci en contrat de travail. Tel a pu être le cas en France, eu égard aux conditions dans lesquelles les plateformes contrôlent les activités des chauffeurs, lesquelles caractérisent un lien de subordination (voir La rem, n°49, p.23). La question a également soulevé de vives polémiques aux États-Unis, notamment en Californie. Une loi adoptée le 11 septembre 2019 vient d’y entrer en vigueur, celle-ci établissant une présomption de salariat qui bénéficiera aux travailleurs des plateformes (voir La rem, n°52, p.71).

Sur ce sujet, l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités crée de nouvelles dispositions dans le code des transports et le code du travail, précisément pour les services de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur et de livraison de marchandises au moyen d’un véhicule. Les nouveaux articles ont pour objectif de renforcer la transparence dans les relations établies entre les plateformes et les travailleurs ayant recours à leurs services. Le nouvel article L 7342-9 du code du travail dispose ainsi qu’une charte doit être communiquée à ces derniers par la plateforme, afin de préciser leurs droits et obligations respectifs. Un certain nombre de points, dont l’article dresse la liste, doivent figurer dans le document : conditions d’exercice de l’activité et de la mise en relation ; modalités de rému­nération, de développement des compétences et de sécurisation des parcours professionnels ; modalités de partage des informations ; modalités de communication de tout changement apporté aux conditions d’exercice ; qualité de service attendue ; éventuelles garanties de protection sociale complémentaires.

La loi précise que les conditions d’exercice de l’activité doivent garantir le caractère non exclusif de la relation ainsi que la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme sans se voir imposer de plages horaires. Par ailleurs, doivent également figurer dans la charte les critères pris en compte par la plateforme, notamment au niveau de la qualité de service attendue, pour justifier une rupture de la relation. Enfin, l’article 44 dispose que l’homologation de la charte par l’autorité administrative et le respect des engagements qu’elle contient ne peuvent caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs.

C’est sur ce dernier point que le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l’article 44 de la loi, dans sa décision du 20 décembre 20197. En effet, plusieurs des engagements mentionnés dans la charte peuvent porter sur des droits et obligations susceptibles d’être pris en compte par les juges pour établir le caractère salarié de la relation de travail. Tel est le cas en particulier des conditions dans lesquelles la plateforme peut décider de mettre un terme à la relation avec le travailleur en cas de non-respect du niveau de qualité demandé. Le législateur a ainsi méconnu l’étendue de sa compétence en confiant aux plateformes la possibilité de fixer des règles qui relèvent de la loi. De plus, en précisant que le respect des engagements prévus par la charte ne saurait caractériser l’existence d’un lien de subordination, le législateur fait échec à la possibilité pour les juges de requalifier le contrat de travail. C’est pourquoi le Conseil a finalement censuré cet article 44, afin d’exclure la référence aux engagements contenus dans la charte.

Pour le reste, la disposition est maintenue, notamment lorsqu’elle prévoit que l’établissement et l’homologation de la charte ne peuvent caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs. En effet, selon le Conseil, ce critère est purement formel et ne saurait affecter la qualification du contrat, dès lors que c’est la seule existence de la charte qui est visée et non son contenu.

Sources :

  1. Étude d’impact – Projet de loi d’orientation des mobilités, 26 novembre 2018, p.14.
  2. Règlement délégué (UE) n° 2017/1926 de la Commission du 31 mai 2017 complétant la directive 2010/40/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la mise à disposition, dans l’ensemble de l’Union, de services d’informations sur les déplacements multimodaux.
  3. Voir M. Batty et al., « Smart cities of the future », Eur. Phys. J. Special Topics, n° 214, 2012, p.482-486 ; E. Cosgrave, K. Arbuthnot et T. Tryfonas, « Living Labs, innovation Districts and information Marketplaces : A Systems Approach For Smart Cities », Procedia Computer Science, Vol. 16, 2013, p.668-677.
  4. D.J. Glancy, « Sharing the Road : Smart Transportation Infrastructure », Fordham Urb. L. J., Vol. 41, n° 5, 2015, p. 1617-1664.
  5. Directive (UE) n° 2003/98 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public.
  6. Directive (UE) n° 2019/2014 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public. 
  7. Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019.
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et rattaché au Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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