Adoptée en France, la taxe Gafa provoque la colère des États-Unis qui menacent la France de sanctions. La résolution du conflit dépend désormais des avancées dans la réforme internationale de la fiscalité.
Si elle n’a pu aboutir en Europe (voir La rem n°50-51, p.23), la taxe Gafa, promue par la France, a finalement été adoptée par l’Assemblée nationale le 11 juillet 2019, à la suite du vote du Sénat. Cette taxe introduit, à compter du 1er janvier 2019, une fiscalité spécifique pour les acteurs du numérique réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel dans le monde. Immanquablement, les géants américains de l’internet sont concernés, ce qui a soulevé l’ire de l’administration Trump qui, la veille du vote au Sénat, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la taxe Gafa française au titre de la section 301 du Trade Act de 1974, déjà mobilisée dans la guerre commerciale et technologique entre les États-Unis et la Chine (voir La rem n°49, p.101). Cette section 301 autorise les États-Unis à pratiquer des mesures de rétorsion, notamment une hausse des droits de douane, contre tout État qui adopterait des pratiques discriminatoires à l’encontre des entreprises américaines. La taxe Gafa ferait partie de ce type de pratiques, ce que dira l’enquête américaine. Mais le ministre français de l’économie, Bruno le Maire, a pris soin de rappeler que cette taxe est provisoire, le temps que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) aboutisse à réformer la fiscalité internationale.
En la matière, des progrès significatifs ont été faits. Après l’engagement pris en janvier 2019 en faveur d’une réforme rapide, dès 2020, des règles fiscales internationales, l’OCDE a produit un premier plan de travail technique le 29 mai 2019. Ce dernier comporte deux volets, le premier concernant les règles d’imposition des entreprises, le second à propos d’un taux d’impôt minimum.
Au sujet du premier point, l’OCDE a proposé de revoir le « nexus » fiscal entre les entreprises et les administrations fiscales. Celui-ci repose aujourd’hui sur la notion d’établissement stable, qui permet la taxation des entreprises là où elles localisent leur production. Or, ces dernières, avec la dématérialisation, peuvent être facilement délocalisées dans des pays à la fiscalité avantageuse, ce qui entraîne une disjonction entre le lieu de réalisation des bénéfices et leur lieu de taxation. Ainsi, près de 60 % des échanges commerciaux internationaux sont réalisés aujourd’hui entre les filiales d’un même groupe, preuve de la circulation des bénéfices grâce aux prix de transfert, qui permettent la refacturation des services entre filiales situées sur des territoires différents (voir La rem n°33, p.12). C’est pour éviter cette optimisation légale, mais moralement condamnable, que l’OCDE propose deux approches nouvelles sur lesquelles les ministres des finances devront se mettre d’accord.
La première distingue les profits routiniers (activités de production et de distribution, recherche et développement) d’une part, et les profits non routiniers d’autre part, comme par exemple les revenus de licence ou de marque qui sont très facilement délocalisables. La répartition du paiement de l’impôt pour les profits non routiniers pourrait dès lors ne plus relever de l’établissement stable et faire l’objet d’une répartition nouvelle entre les pays. Les États-Unis sont favorables à cette approche, que le Royaume-Uni soutient, mais plus spécifiquement pour les acteurs du numérique.
La seconde approche consiste à répartir la totalité des bénéfices réalisés par les multinationales entre les différents pays selon une clé de répartition qui reste à définir. Cette seconde approche est évidemment soutenue par les pays en développement qui y voient un moyen de récupérer des recettes fiscales qui leur échappent trop souvent.
Le second point de la réforme, à savoir un taux minimal d’imposition des entreprises dans le monde, passe, pour l’OCDE, soit par l’imposition d’un taux minimal unique, soit par la création d’un couloir de taux. L’objectif est de permettre à chaque administration fiscale de récupérer auprès de ces entreprises la part d’impôt qu’elles n’ont pas payée en localisant leurs bénéfices à l’étranger. Il s’agit ici d’éviter l’optimisation fiscale, comme celle pratiquée par Apple ou Google qui transfèrent leurs bénéfices européens en Irlande où le taux d’imposition sur les sociétés est parmi les plus faibles d’Europe, mais aussi d’éviter également le dumping fiscal entre États, qui conduit globalement à dégrader les finances publiques (voir La rem n°25, p.16). C’est d’ailleurs l’une des motivations de la récente réforme fiscale américaine qui a introduit un taux d’impôt minimal de 13,125 % pour ces entreprises, lequel enlève de facto toute attractivité aux paradis fiscaux les plus agressifs.
Les propositions de l’OCDE ont fait l’objet d’un premier accord lors du G20 en juin 2019, qui a entériné le principe même de la réforme structurelle de la fiscalité internationale. En juillet 2019, les ministres des finances du G7 ont à leur tour accepté le principe d’un nouveau nexus pour définir le lien entre les entreprises et les administrations fiscales et celui d’un taux minimal d’imposition des entreprises. L’OCDE va dès lors jouer un rôle clé car il faudra qu’elle parvienne à un compromis à partir des différentes pistes proposées, l’échéance étant fixée à fin 2020.
Cette échéance est devenue en France un enjeu diplomatique dans la relation avec les États-Unis. En effet, lors du G7 de Biarritz fin août 2019, la France et les États-Unis ont fini par trouver un terrain d’entente sur la taxe Gafa. qui devrait éviter des mesures américaines de rétorsion. La France a pris un engagement sur la suppression de la taxe Gafa dès 2020 au profit de la taxation internationale proposée par l’OCDE, si un accord bien sûr est trouvé, quand aucun calendrier de suppression de la taxe n’avait jusqu’alors été évoqué. La France s’est par ailleurs engagée à rembourser aux entreprises le trop-perçu lié à la taxe Gafa si d’aventure la taxation proposée par l’OCDE était inférieure au taux actuel appliqué en France, à savoir 3 %.
Sources :
- « Fiscalité du numérique : le plan de bataille prend forme à l’OCDE », Richard Hiault, Les Echos, 27 mai 2019.
- « La réforme de la fiscalité des Gafa franchit un nouveau pas », Richard Hiault, Les Echos, 4 juin 2019.
- « Une nouvelle donne fiscale pour changer la mondialisation », Richard Hiault, Les Echos, 18 juin 2019.
- « La France adopte la taxe Gafa malgré les menaces de Donald Trump », Elsa Conesa, Les Echos, 12 juillet 2019.
- « Trump attaque la France sur la taxe Gafa », Armelle Bohineust, Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 12 juillet 2019.
- « G7 : la France espère un accord de principe sur l’imposition minimale des entreprises », Richard Hiault, Les Echos, 17 juillet 2019.
- « Consensus au G7 pour une refonte de la fiscalité des Gafa », Richard Hiault, Les Echos, 19 juillet 2019.
- « Taxation des Gafa : en attaquant Macron, Trump met la pression sur le G7 », Daniel Bastien, Les Echos, 29 juillet 2019.
- « Paris et Washington trouvent un accord sur la taxe Gafa », Fabrice Nodé-Langlois, Le Figaro, 27 août 2019.