La loi pour une République numérique

Présentation de la loi du 7 octobre 2016.

«Le numérique constitue une nouvelle opportunité de développement, de croissance et de partage pour notre pays, nos entreprises et nos concitoyens ». Ainsi commence l’exposé des motifs de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Cette loi, très attendue, a été l’occasion d’une enrichissante expérience collaborative, puisqu’elle a pu être débattue en ligne, sur une plate-forme dédiée. Celle-ci a réuni plus de 21 000 contributeurs, et s’est révélée riche en réflexions, les objectifs de la loi étant particulièrement essentiels pour la société civile. Si le texte final paraît satisfaisant sur le fond, on déplorera encore une fois un foisonnement de dispositions ordonnées dans un sens qui n’est pas toujours très cohérent, à l’instar de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création (voir La rem n°40, p.21). L’intitulé même de la loi n’a parfois que peu de rapport avec son contenu ! Sont présentés les points les plus remarquables pour le droit de la communication, sans préjuger de leur importance dans le texte, ni tendre à l’exhaustivité.

Open Data

Le titre 1er de la loi porte sur la circulation des données et du savoir. Une grande partie est consacrée à l’ouverture par défaut des données, parachevant ainsi le mouvement engagé par la « loi Valter ».

Avec un luxe de détails, la loi du 7 octobre réforme de nombreuses dispositions préexistantes, dont le code des relations entre le public et l’administration, afin d’établir le principe précité. Outre le droit d’accès des usagers, c’est la communication spontanée des données par les administrations qui est recherchée, y compris en ligne, dans un standard ouvert et réutilisable. La variété des données concernées est grande. La loi établit une distinction entre les données publiques (documents administratifs, données des administrations présentant un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental, données de référence…) et les données d’intérêt général (données de jurisprudence, données produites dans le cadre de la gestion déléguée d’un service public…), celles-ci pouvant de plus être échangées gratuitement entre administrations. On signalera que les « codes sources » des logiciels font désormais partie des données communicables, de même que les règles relatives à un traitement de données algorithmique doivent être communiquées aux administrés, lorsque celui-ci est utilisé pour établir une décision individuelle.

La loi ne manque pas d’établir des limites à ce principe d’ouverture, afin de ménager un certain équilibre avec les droits des tiers ou le respect de certains impératifs. C’est ainsi qu’elle limite la communication des documents faisant état d’éléments de la vie privée, ou d’informations de nature commerciale ou industrielle, aux seuls intéressés. De même, la publication de documents comportant des données personnelles n’est possible qu’avec le respect de trois « conditions alternatives » : si une disposition législative l’exige ; si l’accord des personnes concernées a été recueilli ; si un traitement rendant impossible leur identification a été utilisé. De même, un certain nombre de documents ne peuvent faire l’objet d’une communication, lorsque celle-ci est notamment susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l’État, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations. Un service public de la donnée sera chargé de la mise en œuvre de ces dispositions à l’égard des bases de données de l’État.

Droit des données personnelles

Les modifications apportées par la loi au droit des données sont également substantielles, bien qu’incomplètes. En l’occurrence, l’entrée en vigueur du règlement européen viendra parachever une réforme d’ampleur destinée à renforcer les droits des personnes sur leurs données. C’est malgré tout l’intention affichée dans le présent texte, qui commence par affirmer un nouveau droit à l’autodétermination informationnelle, selon lequel toute personne peut contrôler les usages qui sont faits de ses données personnelles. Cette création conforte l’évolution vers un droit « à » l’identité, notamment dans sa dimension numérique, en prenant le parti d’un droit extrapatrimonial. Le choix est conforme à la tradition française, et se veut plus protecteur des intérêts des personnes, notamment à l’encontre des usages commerciaux de leurs données.

Au-delà, la loi s’attache surtout à réformer des points plus précis, créant çà et là de nouveaux droits à la portée limitée. Tel est le cas avec la consécration, toute relative, d’un droit à l’oubli pour les mineurs, qui permet de demander l’effacement des données collectées pendant leur minorité. Il en est de même avec un droit sur les données post mortem, qui permettra de décider du sort de celles-ci après la mort ; c’est là une disposition qui intéressera particulièrement le marché de la « mort numérique », notamment à travers les nouvelles applications dédiées à la gestion de ces stocks d’informations. La loi ajoute aussi un droit à la portabilité et la récupération des données (hors de la loi du 6 janvier 1978), permettant à toute personne de récupérer celles-ci auprès du fournisseur d’un service de communication au public en ligne.

À cela s’ajoutent des dispositions relatives aux missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Pour des raisons logiques, celle-ci est rapprochée de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), le président de la seconde devenant également membre de la première. De même, les deux commissions peuvent se réunir en un collège unique sur tout sujet d’intérêt commun. Outre un pouvoir de certification des dispositifs d’anonymisation (notamment en lien avec la réutilisation de données publiques), la CNIL voit son pouvoir de sanction précisé, notamment en cas d’urgence avec une procédure accélérée, et au niveau du montant des sanctions pécuniaires, pouvant désormais atteindre jusqu’à 3 millions d’euros (dans l’attente de l’entrée en vigueur du règlement européen, qui va encore rehausser le plafond).

Propriété littéraire et artistique

En matière de propriété intellectuelle, on relève trois dispositions importantes. Concernant les exceptions aux droits d’auteur, la loi consacre une dérogation au droit de reproduction des auteurs d’œuvres d’architecture et de sculpture placées dans des lieux publics, limitée à des finalités non commerciales. Cette exception, improprement appelée « liberté de panorama », a été l’occasion de vives discussions, certains lui reprochant le manque à gagner qu’elle entraîne pour les auteurs des œuvres en cause, d’autres regrettant sa portée trop limitée. Il est néanmoins certain qu’elle prend en compte la réalité de pratiques qui sont de plus en plus difficiles à contrôler sur les services de communication en ligne. La loi crée également une exception dite de Text Data Mining, qui permet d’effectuer des copies numériques à partir d’une source licite en vue de fouiller des textes et données de nature scientifique, dans un but de recherche publique et sans finalité commerciale.

Enfin, un « nouveau » droit de communication publique est accordé aux chercheurs sur leurs travaux, faisant suite, là encore, à une revendication ancienne et au développement de pratiques nouvelles. Ce droit, qui ne figure pas dans le code de la propriété intellectuelle mais dans le code de la recherche, leur permet de diffuser gratuitement en ligne, et dans un format ouvert, les travaux scientifiques dont ils sont les auteurs, lorsque ceux-ci ont été financés principalement à l’aide de fonds publics, y compris lorsqu’ils ont déjà fait l’objet d’une publication (exclusive) chez un éditeur. Autrement dit, cette disposition vise à contrecarrer le monopole dont peuvent disposer certains éditeurs sur les résultats des travaux scientifiques, et encourage au développement d’archives ouvertes en Green Open Access.

Neutralité de l’internet

Faisant suite au règlement européen du 25 novembre 2015, et aux lignes directrices de l’ORECE (voir La rem n°40, p.17), la loi transpose le principe de neutralité de l’internet dans le droit français. Toute discrimination, effectuée par un fournisseur de services de communication électronique, est ainsi interdite dans l’accès au réseau ou à un service, qu’elle soit fondée sur la nature des contenus demandés ou la qualité de l’utilisateur, ce qui consisterait à différencier les flux de données. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) se voit dotée du pouvoir de mettre en demeure les fournisseurs de services qui ne respecteraient pas ces prescriptions.

Loyauté des plates-formes

De nouvelles obligations sont créées à l’égard des « plates-formes » en ligne, celles-ci étant définies pour la première fois. Si leur qualité d’hébergeur pouvait déjà être aisément retenue en termes de responsabilité des contenus, la loi les appréhende au titre du droit de la consommation.

La définition en est assez large, puisqu’elle inclut tous les opérateurs de services procédant au classement ou au référencement de contenus, biens ou services mis en ligne par des tiers, ainsi que tous ceux qui procèdent à la mise en relation des personnes en vue de la vente d’un bien, la fourniture d’un service ou le partage d’un contenu. Sont donc visées les plates-formes de commerce électronique, mais aussi celles qui consistent à recueillir et diffuser des avis, ainsi que les plates-formes de contenus audiovisuels. Il leur est désormais enjoint de respecter une obligation de transparence en communiquant à leurs utilisateurs des informations relatives aux conditions générales du service d’intermédiation qu’ils mettent en œuvre ainsi qu’aux facteurs pouvant influer sur le référencement des contenus ou produits diffusés (comme l’existence d’une relation contractuelle ou d’un lien capitalistique). Une disposition spéciale est également réservée aux seules plates-formes d’avis en ligne, lesquelles doivent désormais en certifier la loyauté, en indiquant notamment si un contrôle préalable a été effectué, et en permettant aux personnes intéressées, comme les entreprises, de signaler plus rapidement les avis dont l’authenticité est douteuse.

Sport électronique

De façon originale, la loi crée un statut pour les compétitions de jeux vidéo, ou e-sport, ainsi que pour leurs participants, désormais qualifiés de « joueurs professionnels ». Le marché de ces rencontres s’étant particulièrement développé, avec des équipes prenant la forme de sociétés commerciales, de même que la spécialisation des joueurs, la loi en tire acte, et impose des obligations de transparence à l’égard des compétitions, notamment l’exigence d’une déclaration préalable auprès de l’autorité administrative, ainsi que la garantie d’un mécanisme de reversement des gains. De même, les joueurs sont considérés comme des salariés, et soumis à un certain nombre de dispositions du code du travail, en étant assimilés au statut de sportifs professionnels. Outre les questions pratiques liées à cette extension, ces dispositions révèlent les changements à l’œuvre au sein du secteur du jeu vidéo, de moins en moins ludique, et interrogent sur la patrimonialisation de l’image des joueurs, qui vont être autant exposés que les sportifs « traditionnels ».

Autres dispositions

Bien d’autres sujets sont encore abordés dans la loi. Ces autres dispositions concernent notamment la couverture mobile du territoire, la stratégie numérique des collectivités territoriales comme les régions et les départements. L’accessibilité des sites internet des administrations et des services téléphoniques aux publics handicapés est également un important sujet de préoccupation dans le texte, qui prévoit l’élaboration de schémas pluriannuels de mise en conformité. De même, la loi encadre le bénéfice d’un droit au maintien temporaire de la connexion internet pour les personnes rencontrant des difficultés financières, rappelant ainsi que l’accès aux services de communication en ligne est devenu indispensable aux conditions de vie contemporaines. Enfin, en termes de respect de la vie privée, la loi pénalise les pratiques de revenge porn, en ajoutant un nouvel article au code pénal, sanctionnant la diffusion de l’image d’une personne lorsque celle-ci présente un caractère sexuel.

Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et directeur adjoint du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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