Tout près d’un accord à l’amiable avec la Commission européenne sur les remèdes proposés contre des pratiques pouvant relever de l’abus de position dominante, Google risque de devoir pourtant s’engager dans la voie plus risquée d’un procès, après le recul de Joaquin Almunia, commissaire européen à la concurrence. En Allemagne, les plaintes se multiplient également sur les conditions dans lesquelles la Lex Google va être véritablement appliquée.
Après des engagements supplémentaires en avril 2013, Google pouvait espérer mettre un terme à l’enquête ouverte en 2010 par la Commission européenne pour abus de position dominante. En l’espèce, Google s’était notamment engagé à laisser une place à trois de ses concurrents lors de l’affichage de services spécialisés dans les résultats de son moteur de recherche, ces deux places de nature promotionnelle étant vendues à ses concurrents à la suite d’enchères. Ces derniers auraient alors gagné le droit d’être positionnés aux côtés d’un service de recherche spécialisé détenu par Google et affiché par défaut dans les pages de résultats du moteur. Concrètement, cela revient à payer pour afficher deux cartes concurrentes de celles de Google Maps, quand la recherche de l’internaute peut être associée à une adresse ; ou encore d’afficher les résultats de deux comparateurs de prix à côté de ceux proposés par Google Shopping, quand la recherche porte sur un produit. Face à ces nouveaux engagements, le commissaire européen à la concurrence, Joaquin Almunia, s’était ouvertement déclaré en faveur d’un accord à l’amiable avec Google au vu des « améliorations significatives » apportées sur sa manière de traiter ses concurrents (voir REM n°30-31, p.18).
Cette déclaration optimiste, à une semaine des élections européennes, n’avait pas manqué d’irriter la France et l’Allemagne qui, par la voie de leurs ministres respectifs de l’économie, avaient écrit en mai 2014 à Joaquin Almunia pour s’inquiéter des questions que laisserait en suspens un tel accord, en particulier sur les « avantages concurrentiels par le biais d’avantages fiscaux et du contrôle des positions de force économiques ». Parallèlement, l’Open Internet Project (OIP), fédération regroupant des acteurs européens du numérique, réunis le 15 mai 2014 à Paris, dénonçait l’accord envisagé entre Google et la Commission européenne et annonçait porter plainte de nouveau pour abus de position dominante de la part de Google sur la question de la promotion de ses propres services au détriment de ceux de ses concurrents. Hélas, Joaquin Almunia annonçait, le 8 septembre 2014, renoncer à l’accord avec Google après que « certains plaignants ont mis au jour de nouvelles données à prendre en compte ». Autant dire que le règlement du conflit entre Google et les éditeurs de services spécialisés sera sur le bureau de Margrethe Vestager, le nouveau commissaire européen à la concurrence en novembre 2014.
Parallèlement à la mobilisation européenne, l’Allemagne durcit le ton face à Google. Le ministre allemand de l’économie, Sigmar Gabriel, a saisi l’office allemand des cartels quand Joaquin Almunia a parlé d’accord à l’amiable afin de proposer au moins une réponse nationale aux questions soulevées par les pratiques de Google. Enfin, la très remarquée Lex Google (voir REM n°25, p.5), entrée en application le 1er août 2013, donne lieu outre-Rhin à un débat national sur le rôle joué par Google en matière d’accès à l’information et de neutralité du Net.
Le 16 avril 2014, Mathias Döpfner, président du directoire du groupe Axel Springer, géant de la presse allemande, publiait une tribune dans le Frankfürter Allgemeine Zeitung dénonçant « l’ogre Google » et la peur qu’il suscite chez les éditeurs, qui n’ont pas d’alternative pour être référencés. Obligés donc de travailler avec Google pour capter au moins une partie de leur audience, les éditeurs sont contraints de voir s’échapper au profit du moteur une part très importante des recettes publicitaires en ligne. Ces mêmes éditeurs voient également le trafic sur leurs sites chuter brutalement à chaque modification d’un algorithme qu’ils ne contrôlent pas. Après cette tribune, très remarquée, les failles de la Lex Google ont été mises au grand jour : Google propose certes aux éditeurs de ne pas reprendre « des mots seuls ou les plus petits extraits de texte » des articles des éditeurs qui ne le souhaitent pas, mais cela au prix d’un déréférencement les écartant de leurs lecteurs-internautes.
A l’inverse, d’autres éditeurs laissent Google exploiter les extraits de leurs articles, afin de bénéficier encore d’un bon référencement et des apports d’audience via le moteur de recherche (voir REM n°28, p.6). Mais c’est clairement la position dominante de celui-ci en Allemagne, avec 90 % de parts de marché, qui oblige les éditeurs à ne pas appliquer l’esprit de la Lex Google, qui consiste à faire payer les moteurs pour qu’ils référencent les contenus. Sans surprise, les moteurs, Google en tête, préfèrent ne pas payer, ce qu’a pu constater la société de gestion VG Media, chargée de négocier avec le moteur de recherche des licences d’utilisation pour le référencement des journaux qu’elle représente, et qui a reçu une fin de non-recevoir de la part de Google. Le 24 juin 2014, douze éditeurs allemands, dont Springer et Burda, ainsi que VG Media, ont donc saisi l’Office anticartels allemand (Bundeskartellamt) en espérant qu’il contraindra Google à payer, ce qui revient à l’obliger aussi à référencer tous les journaux, y compris ceux qui exigent une rémunération. Mais le flou de la Lex Google allemande, notamment dû à l’autorisation de reprise de courts extraits, ne permet pas encore aujourd’hui d’imposer aux moteurs de payer pour des droits voisins sur des articles, et cela d’autant plus que les moteurs s’engagent à déréférencer le cas échéant ces mêmes articles.
Ainsi, le 22 août 2014, le Bundeskartellamt a refusé d’examiner la plainte déposée par VG Media, rappelant qu’« une suspicion suffisante est toujours requise pour initier une procédure pour abus », mais rappelant également que la portée du texte de loi est encore incertaine, ce qui pourra l’amener à l’avenir à rouvrir le dossier Google. Quant au moteur de recherche, il a opté, le 1er octobre 2014, pour la suppression automatique de la reprise des photos et premières phrases des articles de plus de 200 médias allemands, un moyen d’éviter tout débat sur la notion de « courts extraits », mais une manière aussi de rappeler à ces titres que leur moins bonne visibilité dans Google risque clairement de les pénaliser.
Sources :
- « Le combat d’un grand patron de presse allemand contre le “Goliath Google”, Blandine Milcent, Le Monde, 17 avril 2014.
- « Google visé par une nouvelle plainte à Bruxelles », Anne Bauer et F. Sc., Les Echos, 15 mai 2014.
- « Front anti-Google en Allemagne », Thibaut Madelin, Les Echos, 19 mai 2014.
- « Google : le conflit se durcit avec la presse allemande », Thibaut Madelin, Les Echos, 25 juin 2014.
- « Des éditeurs de presse déboutés contre Google en Allemagne », reuters.com, 22 août 2014.
- « Concurrence : Bruxelles durcit le ton face à Google », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 10 septembre 2014.
- « Bruxelles hausse le ton contre Google », Renaud Honoré, Les Echos, 24 septembre 2014.
- « Google pénalise 200 médias allemands », Les Echos, 2 octobre 2014.