Observations sur les Communications des griefs de la Commission européenne du 14 juillet 2016.
Les enquêtes de la Commission européenne sur les activités de Google sont à l’image des activités de celle-ci : diversifiées. L’entreprise américaine est en effet soupçonnée d’abus de position dominante à de multiples niveaux, à travers la mutualisation de ses différents services, qu’il s’agisse du référencement et des comparateurs des prix (voir La rem n°36, p.58) ou encore des licences imposant la préinstallation d’applications sur des smartphones, ainsi que les accords antifragmentation relatifs au système Android (voir La rem n°38-39, p.25).
Deux nouvelles communications des griefs ont été émises par la Commission le 14 juillet 2016. La première porte à nouveau sur les services de comparaison des prix et leur référencement. La Commission estimait que l’entreprise avait favorisé son propre comparateur dans les résultats de recherche, au détriment de celui de ses concurrents. Les réponses apportées par Google ont été jugées insatisfaisantes, et de nouveaux éléments semblent confirmer les allégations de la Commission sur un éventuel abus de position dominante. La seconde est relative à l’affichage de publicités contextuelles émanant de concurrents de Google sur des sites tiers, qui utilisent notamment AdSense. De la même façon, l’entreprise aurait favorisé ses propres services et contenus, en profitant de sa position de leader sur le marché de la publicité contextuelle en ligne pour « maximiser le trafic vers ses propres sites web ». Google devra donc répondre à nouveau à ces affirmations qui confortent la Commission européenne dans les soupçons qu’elle a à son égard.
Les griefs relatifs au service de comparaison des prix
La communication relative aux comparateurs de prix reprend des éléments soulevés par la Commission dans une précédente communication, émise le 15 avril 20151.
Les activités de Google sont déployées dans des domaines et des marchés différents, le principal étant celui de la recherche générale en ligne. Il n’empêche toutefois que ses services sont interdépendants et complémentaires, ce qui permet à l’entreprise de favoriser les siens au détriment de ceux de ses concurrents. Tel est le cas pour les comparateurs de prix, qui sont accessibles via le moteur de recherche générale et qui permettent aux consommateurs de comparer les prix de différents vendeurs sur les mêmes produits. Par de multiples moyens, Google aurait favorisé son propre service, Google Shopping, dans les résultats des requêtes des internautes. Ce comparateur aurait été systématiquement présenté dans une position favorable, à l’inverse de ses précédentes versions, car il n’était pas soumis au système de pénalités mis en œuvre par le moteur de recherche, lequel peut affecter le classement des services recherchés en fonction de leur niveau de performance.
Les concurrents se trouvaient donc évincés, et leur visibilité était réduite à l’égard des consommateurs. C’est pourquoi la Commission avait estimé que Google devait appliquer une égalité de traitement entre son comparateur et ceux de ses concurrents. La nouvelle communication maintient ces affirmations et écarte l’argument selon lequel les services de comparaison des prix appartiendraient à un marché dépendant de celui des plates-formes de vente en ligne. La Commission continue d’affirmer que ce sont des marchés distincts, et elle ajoute que sa position serait identique, même si ce n’était pas le cas.
Il s’agit donc d’une nouvelle étape dans une procédure contentieuse qui ne cesse de se préciser et qui marque, comme l’ont relevé certains auteurs, l’échec d’une procédure négociée qui aurait paru plus adaptée à la spécificité de ces services en ligne, qui sont pour la plupart gratuits2.
Les griefs relatifs au service AdSense
La seconde communication porte sur un éventuel abus de position dominante de Google sur le marché de la publicité contextuelle en ligne.
Les griefs portent ici sur l’utilisation de la plate-forme AdSense. Celle-ci permet d’afficher des publicités contextuelles sur des sites tiers équipés de moteurs de recherche. Les publicités sont le plus souvent des liens sponsorisés, provenant de campagnes Adwords. Elles sont bien sûr ciblées en fonction des mots clés entrés par l’internaute. À chaque clic sur l’une de ces publicités, Google et le site tiers perçoivent une commission. Ce partage des revenus liés à l’intermédiation publicitaire se fonde sur des accords passés avec les sites partenaires. Google étant également en position dominante sur ce marché, il lui est aisé de créer et de renforcer des liens exclusifs avec les sites web à travers ce service, notamment ceux, peu connus, dont le trafic est particulièrement dépendant du moteur de recherche3. Aussi des risques d’abus ont-ils été mis au jour par la Commission européenne.
Des conditions particulières auraient en effet été imposées aux sites partenaires dans les accords précités, dans le but d’exclure les publicités contextuelles émanant de concurrents. Si les pratiques de Google ont pu évoluer sur ce point, elles ne sont toujours pas satisfaisantes aux yeux de la Commission. L’exclusivité, qui était exigée pendant un temps, a ainsi été abandonnée pour des conditions qui ne sont qu’à peine plus souples. Google se réserverait en effet le droit d’autoriser l’affichage de publicités concurrentes sur les sites partenaires, tout en le soumettant à des restrictions. Un nombre minimum de publicités issues de Google devrait ainsi être accepté par le site tiers. Celui-ci doit en outre leur réserver le meilleur positionnement dans les résultats de recherche. Enfin, les publicités concurrentes ne sauraient figurer au-dessus ou à côté de celles qui sont générées par AdSense. Comme pour le service de comparaison des prix, ces pratiques auraient réduit artificiellement le choix proposé aux internautes et entravé l’accès des concurrents au marché de l’intermédiation publicitaire. Celui-ci est d’autant plus important qu’il contribue au développement de services innovants, en les faisant connaître d’un public nouveau.
Bien que Google ait laissé entendre que de nouveaux assouplissements seraient prévus dans les accords passés avec les sites tiers, la Commission a quand même exigé une réponse dans les dix semaines suivant cette communication des griefs.
Perspectives russes
Les déboires juridiques et judiciaires de Google ne sont pas limités au marché européen. Outre les États-Unis d’Amérique et le Canada, c’est en Russie que l’entreprise californienne a perdu une bataille importante (voir La rem n°36, p.58).
Le 11 août 2016, une cour d’appel a ainsi confirmé la condamnation à une amende de 438 millions de roubles (6 millions d’euros) infligée à Google en première instance, pour abus de position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour smartphones. Les pratiques sanctionnées par la juridiction russe sont en grande partie les mêmes que celles relevées par la Commission européenne dans sa communication des griefs du 20 avril 2016. Il est ainsi reproché à Google d’avoir imposé la préinstallation de certaines de ses applications sur les smartphones équipés de son système d’exploitation Android. Le moteur de recherche Search aurait ainsi été installé par défaut sur tous les appareils en cause, confortant à cet égard la position dominante de Google. Les concurrents tout autant que les utilisateurs en seraient affectés. Les premiers se verraient restreindre l’accès au marché de smartphones qui sont normalement compatibles avec des applications tierces. Les seconds y perdraient quantitativement, à travers la réduction du choix entre différents services, et qualitativement, en ne pouvant accéder à des services innovants ou plus performants.
Une fois encore, la complémentarité et la mutualisation des programmes de Google lui permettent de verrouiller plusieurs marchés à la fois, ce qui a pour effet d’exclure un certain nombre de concurrents réels ou potentiels.
Sources :
- Communication des griefs du 15 avril 2015 au sujet du service de comparaison de prix.
- A.-S. Chone-Grimaldi, « Google coupable d’abus de position dominante : les carottes sont-elles cuites ? », D., 2015, p. 2451-2452.
- G. Lastowka, « Google’s Law », Brook. L. Rev., Vol. 73, Issue 4 (Summer 2008), p. 1 349.